Amalek : combat ultime d'Israël

Par Monique Schönberg

Dans une étude antérieure, nous avons assisté, à la lumière du midrash, à l'antagonisme qui affecte les relations entre Jacob-Israël et son frère jumeau Esaü, mais également aux sombres projets qui hantèrent les cogitations macabres de ce dernier, appelant l'aide de son " demi-oncle ", Ishmaël, pour pouvoir les réaliser.
Nous avons situé Amalek à l'intérieur de cette famille, aux personnages réels mais également emblématiques, nous permettant ultérieurement de poser un regard plus clair sur le destin du peuple d'Israël.
Dans la gravité de la situation actuelle, il m'a paru urgent de mieux cerner Amalek, sa nature et son rôle.
Notre étude se placera continuellement à deux niveaux, car ainsi est fait le monde. En effet nos sages nous expliquent qu'il existe une vision " horizontale " et l'autre " verticale " de l'univers, comme dirait le Professeur Neher, (zal). On pourrait encore formuler autrement ces concepts : notre monde est une projection, point par point, d'un monde spirituel, qui se concrétise ici-bas. Chaque nation a son ange tutélaire lui correspondant, sa valeur prépondérante qu'il incarne, en particulier, à travers son génie culturel propre.

Le fruit d'une frustration

Redéfinissons d'abord qui est l'homme " Amalek ".
Esaü, parmi ses femmes cananéennes, avait épousé Ada, qui lui avait donné comme fils Eliphaz (1). A côté de ses femmes légitimes, il aura pour concubine Timna, fille d'un prince, Lotan, qui voulut se convertir à la foi en l'existence du D' Un et les patriarches n'acceptèrent pas sa demande. Elle se tourna alors vers la famille d'Esaü, de par ses liens avec Abraham et s'unit avec Eliphaz, lui donnant un fils, Amalek, qui concentra en lui les frustrations de sa mère et la haine de son grand-père. En effet ce dernier se sent grugé par son grand-oncle Jacob, à cause du droit d'aînesse qu'Esaü a malencontreusement vendu à son frère, sans en mesurer totalement les conséquences, entre autre les bénédictions paternelles, qui lui passèrent sous le nez. Celui-ci vouera, ad-aeternam, une haine féroce à Jacob, largement transmise à ses descendants.
Deux textes contradictoires nous sont relatés, à ce sujet-là, par le Midrash, sous la plume du Yalkout Reouveni (2) : Eliphaz poursuit Jacob dans sa fuite chez Laban, pour le tuer, envoyé par son père. Jacob le met en garde de ne pas exécuter son acte. Eliphaz décide alors de mettre ce projet en suspens et conseille à son fila Amalek d'attendre la sortie d'Egypte des Hébreux. En effet, ils seront ainsi aptes à pouvoir bénéficier ensuite des bénédictions, quand ils seront en Israël.
Jacob donne naissance à douze enfants, à travers ses quatre femmes, à douze tribus et descend en Egypte. Cette civilisation se transforme en matrice d'engendrement du peuple d'Israël, résultant de l'éclatement démographique de la famille patriarcale.

L'heure d'Amalek

Et Amalek, lui aussi devenu un peuple, attend son heure !
D' frappe l'Egypte et l'anéantit par dix plaies, provoquant l'expulsion des Hébreux. Les péripéties premières de ce peuple, réduit à l'esclavage, qui goûte les premiers fruits de la liberté, au demeurant encore amers, ne se font pas attendre (3) : il marche et cherche de l'eau, mais celle-ci est amère. Moïse l'adoucira.
Puis il réclame, à la recherche de nourriture, de "la viande et du pain " (4). D' suscite des cailles qui volent vers le camp le soir, et le matin de la manne tombe. Par là-même, les Hébreux doivent prendre conscience de la notion de Shabbat et l'intégrer dans leur moi profond, déjà en n'allant pas la ramasser le shabbat matin, mais en recevant le vendredi une part double pour deux jours. Et nos sages de dire : si les Hébreux avaient respecté ce premier Shabbat, aucun peuple n'aurait eu de prise sur eux. Ils continuent à marcher et arrivent à un endroit, Refidim, et il n'y a pas d'eau à boire ! Récriminations ( !) au lieu de prière. Que d'ingratitude !
Moïse implore D' qui lui dit de frapper le rocher, celui qui abrite un puits, grâce au mérite de Myriam sa sœur. Mais trop, c'est trop ! Les Hébreux ont eu l'audace de dire : " Hayesh hashem bekirbenou, im ayin ? (chap 17, v 7) : Y a-t-il D' parmi nous ou pas ?
Amalek guette ! Le moment est propice. Il se jette sur Israël.
Qu'est-ce donc cet endroit, " Redifim " ?

Lieux symboliques

" She rifou yadaim min hatora" (6) : Les mains se sont affaiblies par rapport à la Thora (traduction littérale).
En effet Amalek, personnage et peuple peu reluisants, qui avait prévenu Laban de la fuite de Jacob et Pharaon de la fuite d'Israël prête le flanc à la faute, à l'infidélité, au doute. Les Hébreux venaient de mettre en question, dans l'épisode de l'eau, la protection divine parmi eux.
Amalek s'attaqua en particulier aux gens de la tribu de Dan, affaiblis car impurs de par leur culpabilité, ceux qui avaient même été idolâtres et qui sortaient des nuées protectrices qui enveloppaient Israël, pour se purifier et étaient alors fauchés par le glaive ennemi.
La valeur numérique des lettres qui forment le nom d'Amalek : ayin - mem - lamed - kouf, et de celle du mot safek, le doute, est identique et signifie par là que le propre d'Amalek est de semer doute, discorde et d'inciter Israël à l'éloignement divin pour entraver les liens tissés entre D' et son peuple, briser l'alliance qui les unit et ainsi faire capoter le projet divin.
C'est pourquoi il apparaît à la sortie d'Egypte au moment où Israël est vulnérable.
Mais dans le Pentateuque, on le voit ressurgir avant l'entrée des Hébreux en terre d'Israël.
Examinons le contexte (7) : nous sommes à la fin de la quarantième année de pérégrinations et Moïse met en garde le peuple devant toute malhonnêteté dans les poids et mesures et Rashi de dire : si tu as menti et que tu as falsifié poids et mesures dans ton commerce, l'ennemi sera à ta porte.
Ton mensonge appelle celui qui incarne le mensonge, à savoir Amalek. Puis le texte biblique continue et rappelle l'épisode du livre de l'Exode.
Rashi (v.18) décrit Amalek à travers le Midrash suivant : il y avait une baignoire remplie d'eau bouillante et des voyous, mais qui n'osaient pas y tremper leurs pieds de peur de s'y brûler. L'un d'entre eux, plus téméraire, plonge et saute tellement dans cette eau bouillante, qu'il la refroidit et permet ainsi aux autres d'oser le suivre. A l'image de cela, alors qu'aucune nation n'a le courage d'affronter Israël après le désastre infligé à l'Egypte, Amalek ose l'attaquer, calculant son coup et entraînant derrière lui les autres peuples, alors que Jethro, qui suit depuis un certain temps les évènements sur la scène de l'histoire et comprend qu'il est plus malin de participer à l'épopée d'Israël que de la contrecarrer (raison pour laquelle il se convertit et aide Moïse. Cest pourquoi la péricope " Jethro " suit le récit de l'attaque d'Amalek dans le livre de l'Exode) (8).

Prémice des Nations

Amalek est appelé " Reshit Hagoyim " : ptémice des nations. C'est à dire celui qui sera l'instigateur des forces combattantes contre Israël.
En cela, il ne suit pas les bons conseils de son père. En effet Eliphaz, qui avait étudié chez son grand-père Isaac qu'il aimait, avait donné les conseils suivants à son fils : (10) le monde futur est préparé pour Israël et si tu veux y participer, tu dois l'aider dans sa construction du monde matériel afin qu'il s'adonne mieux à sa vocation spirituelle.
Eliphaz, relié à la famille d'Abraham, outre son affection possédait en héritage une parcelle de sainteté. Amalek, conscient de cela, au lieu de l'utiliser pour le bien, pour participer à la vocation d'Israël, l'utilise pour tenter de le démolir. En effet, nous explique Malbim (11), les motivations guerrières des nations et d'Amalek sont très différentes : les premières peuvent être territoriales et économiques, alors que celles d'Amalek sont existentielles, stimulées par la haine, et métaphysiques car elles touchent non seulement ses relations à Israël mais à D., son existence et sa providence.
Le texte qui le définissait comme prémice des nations poursuit ainsi :
" Reshit goyim Amalek veakharito ade ouvad ". (prémice des nations et sa fin: d'être détruit).
Ce texte, donc, se trouve dans les bénédictions énoncées, malgré lui par Bil'am, prophète des nations, contemporain de Moïse.
Bil'am et Balak, leurs deux noms ensembles, possèdent (en hébreu) les mêmes lettres que celui d'Amalek :
BiLeAM + BaLAK = AMLeK c'est à dire, cumulent à eux deux, la même vocation : l'anéantissement d'Israël.
Amalek est une composante d'Edom, dernière des quatre civilisations par où passe Israël.
Ceci nous amène à nous poser la question suivante : pourquoi Moïse envoie Josué se battre et ne le fait-il pas lui-même comme ce fut le quand Og et Sikhon se sont attaqués à lui ?

Pourquoi Josué ?

La réponse à notre question rentre dans une cohérence qui situe Moïse dans un cadre général beaucoup plus global. Il est l'homme des premières Tables de la Loi, celui qu'aucun autre prophète n'a égalé, celui qui aurait pu et dû continuer à guider Israël en entrant avec lui dans la terre d'Israël, mais Israël par la faute du Veau d'or a perdu le niveau spirituel acquis et atteint lors du don de la Thora. Ce niveau, Moïse l'a gardé et même surpassé, mais pas le peuple, raison de la brisure des premières Tables. A ce moment-là, quand ils reçoivent les Dix commandements de D., aucun peuple n'a de prise sur eux. Ainsi Moïse, figure emblématique de la Vérité, ne peut qu'anéantir celle qui représente le Mensonge. Mais Moïse, quand Amalek se présente, sait que le peuple risque de fauter et donc appelle Josué, qui lui succèdera dans ce cas-là. Si Moïse rentre en Israël, il n'y a pas de guerres de conquêtes qui soient nécessaires ; il ne s'agirait que d'une génération totalement méritante et purifiée de toute faute et la terre lui est alors donnée d'emblée. Mais il sait que telle n'est pas la situation. Israël doit passer par l'épreuve de la guerre, même miraculeuse. Qui dit faute, dit " Yerser hara " penchant au mal, tentation.

Retour à Amalek

Là nous basculons dans un deuxième niveau de confrontation avec Amalek, celui du monde d'en haut, puis ensuite nous aurons à faire le lien avec celui " d'en bas " analysé jusqu'à présent.
Nous disions que tout peuple possédait son ange tutélaire. Celui d'Amalek, nous dit le Zohar, est le Satan en personne. Or le Satan, le " Yerser hara ", sont une seule et même entité suivant la mission à accomplir ou le contexte étudié.
Le Satan est l'ange, accusateur public du tribunal divin, mais aussi le chef de toutes les forces d'impureté du monde, antithèse des forces de Kedousha, sainteté.
Par là-même il aide tout élément qui tente d'empêcher la réalisation du projet divin. Il alimente les tentations de l'homme et oriente ses égarements ; c'est alors qu'il nous rappellera le Nakhash, serpent qui tenta Eve à l'aube de notre humanité ; l'Amalek d'en haut et celui d'en bas ne font qu'un. Le temps d'anéantir totalement Amalek n'est pas encore à l'ordre du jour de Moïse. Il doit lutter contre l'Amalek " d'en haut " pour protéger les Hébreux et laisse à Josué le soin d'affaiblir celui " d'en bas ".
Israël est sur sa terre, conquise en grande partie. Mais Josué ne l'anéantit pas complètement.
Vient Shaül, premier roi d'Israël, à qui incombe l'obligation de détruire Amalek. Mais il ne le fait pas totalement. Ceci lui est compté comme faute, qui lui fera perdre sa royauté
Amalek réapparaît dans l'histoire à l'époque d'Assuérus quand Haman, descendant d'Amalek, descendant du roi Agag projette d'anéantir Israël. Mardochée, de la tribu de Benjamin, seul fils de Jacob à ne pas s'être prosterné devant Esaü (car il n'était pas encore né), au retour de chez Laban, pourra vaincre les Amalécites.

Amalek aujourd'hui

Mais reprenons le texte du livre de l'Exode (17, 16) " …guerre contre Amalek de génération en génération ". Midor dor, ces mots " de génération en génération " nous dit le Baal Hatorim, un commentateur, ont la même valeur numérique que le mot Mashiah, messie. En effet l'homme, de génération en génération, est confronté tant que dure l'histoire, olam haze, dans ce monde-ci, à la lutte entre ses deux penchants. Tant que dure ce monde, la tentation de la faute est tapie à sa porte.
Ce n'est qu'aux temps messianiques que son Yetser Hara, son mauvais penchant, ne s'opposera plus à la volonté divine et que le mal disparaîtra du monde. Jusqu'à la venue du Messie, l'homme, Israël, devra se purifier. C'est alors que le Mashiakh ben Yossef, messie de la lignée de Yossef pourra affronter Amalek comme l'a fait Josué, lui aussi, descendant de Yossef. Mais dans le combat ultime où Amalek réunira toutes les nations contre Israël, D. interviendra pour mettre fin définitivement à son existence ainsi qu'à ses acolytes.
Samson Raphaël Hirsch, dans un de ses ouvrages, précise, ainsi que d'autres commentateurs, qu'Amalek est incarné par tout le peuple ou partie de peuple dont l'idéologie est le génocide des Juifs, comme ce fut le cas pour le nazisme, ou plus actuel, tout homme qui appelle au meurtre de Juifs uniquement à cause de leur Judéité, de leur identité et refuse aux Juifs la possibilité de réaliser la parole des prophètes, à savoir leur retour sur la terre ancestrale, leur déniant là-bas leur droit de propriété. Vaincre Amalek, c'est vaincre ces forces-là que nous avons mission de combattre en guerre défensive.
Mais nous ne pouvons sortir indemnes de ce combat et vaincre l'ennemi extérieur qu'en combattant l'ennemi intérieur, qui nous éloigne de la Thora et de la Kedousha, qui nous éloigne de notre vocation sacerdotale et de nos devoirs, de notre fidélité au Créateur.
Amalek s'attaqua à nous avant que nous n'ayons reçu la Thora, quand nous étions en travail de purification de l'idolâtrie égyptienne. Il nous attaqua avant l'entrée en Israël alors que nous réparions les fautes des explorateurs qui nous valut 40 ans d'errance dans le désert. Il nous attaqua en Perse alors que les sirènes de l'assimilation résonnaient à nos oreilles. Ces mêmes sirènes résonnèrent, il y a 60 ans dans l'Allemagne nazie. Nous sommes actuellement, dans notre pays et dans le monde, devant le même défi.
Triompher de l'ennemi n'est pas pour donner des terres, mais être nous-mêmes, changer notre génération, revenir aux valeurs qui sont les nôtres, alors que le monde, en cette fin de civilisation d'Edom (l'occident), bafoue toutes les valeurs et provoque ainsi sa propre destruction. Dans Edom est incluse Rome, païenne, chrétienne ou laïque et Yshmaël, unis, pour attaquer Israël (12). Parmi eux, il y aura ceux qui aussi feront Techouva, reconnaîtront l'existence de D. et la vocation d'Israël, quand l'entité Amalek, qui empêche cette reconnaissance, disparaîtra.
Espérons ce jour proche !

Monique Schönberg
D'après LE LIEN

1. Beréchit (Genèse) : 36,1, 312
2. Yalkout Reouvéni : péricope Vayetse au début
3. Chemot, Exode : 15,22 à 16 et 17, 1 à 7
4. Le pain est un terme général désignant la nourriture
5. Talmud Babli : traité Berakhot : p.58 folio A et traité Shabat : p.118 folio B
6. Traité Sanhédrin p.106 folio A
7. Deutéronome : Devarim 25, 17 à 19
8. voir Midrash : Chemot raba : 26 § 5
9. Bamidbar (Nombres): ch.24 v.20
10. Voir le commentaire hassidique du Shem miShmouël : Shemot-Yithro :674
11. Malbim sur Exode 17,8-9
12. Voir chap.2 du livre Daniel v.44 et les commentaires explicatifs à ce sujet : Rashi, Rassag, Malbim….