BRENNER

Yosseph Hayim Brenner est à la fois romancier, critique et publiciste hébraïque. Son ?uvre est considérée comme une des expressions les plus authentiques de toute une génération de pionniers juifs, vivant entre le refus et la révolte contre la physionomie de la société juive en Europe orientale au début du XXe siècle et les difficultés d'adaptation aux pénibles conditions de vie en Palestine.


Un sioniste


Brenner est né à Novie Mlini en Ukraine, dans une famille très pauvre. Son éducation fut d'abord strictement religieuse; adolescent, il abandonna la religion, attiré par le sionisme et le "Bund", mouvement socialiste visant à une autonomie culturelle juive. Sa première nouvelle, Un morceau de pain, paraît en 1899, suivie de près par D'une vallée maudite, recueil de cinq récits. C'est avec ses deux premiers romans, En hiver (1904) et surtout Autour d'un point (1905), que Brenner acquiert une certaine notoriété.
Il se rend à Londres en 1905, où il collabore à l'hebdomadaire Jewish Chronicle et fonde en 1906 la revue mensuelle hébraïque Hameorer (Le Réveil ). De cette période date Au-delà des frontières (1907), ouvre scénique dont l'action se situe dans le quartier juif de Whitechapel. En 1908, Brenner se rend à Lvov, en Galicie, et en 1909 il s'établit définitivement en Palestine.
Durant cette dernière période de sa vie, il connaît une activité intense: ouvrier à Hadera et Jérusalem, professeur au lycée de Jaffa, il participe également à la rédaction de plusieurs revues et devient une personnalité marquante dans le mouvement ouvrier. Son ouvre littéraire s'accroît; ses principaux romans sont: Entre les eaux, De-ci de-là et Deuil et Échec. Il publie de nombreux essais sur des écrivains hébraïques, traduit en hébreu des ouvres littéraires russes (notamment Crime et Châtiment de Dostoïevski) et plusieurs ouvres de Gerhart Hauptmann.
Brenner est assassiné par des émeutiers arabes, à Jaffa. Plusieurs villages et rues en Israël portent son nom; le prix Brenner de littérature est décerné chaque année.


Espérances et désillusions


L'ouvre de Brenner est d'une totale sincérité. Plusieurs de ses contemporains se laissaient aller à un sentimentalisme un peu facile; le réalisme de Brenner paraît, en comparaison, dur et cruel, imprégné d'un pessimisme profond et presque désespéré. Dans une société juive en pleine mutation, soumise à des pressions extérieures et en proie à une crise de scepticisme sur ses propres valeurs, toutes les révoltes s'achèvent par la défaite. L'élément autobiographique se reconnaît dans plusieurs de ses romans, ses héros sont comme lui des "déracinés", incapables de s'accepter et d'échapper à un destin forgé par l'hérédité lourde du ghetto où toute puissance créatrice semble vouée à l'asphyxie et où le malheur collectif rend inefficace la lutte individuelle. Les deux héros d'Autour d'un point , son roman peut-être le plus achevé, succombent au désespoir; l'un en mettant fin à ses jours, l'autre en se réfugiant dans la folie.
Certains critiques ont cru voir en Brenner le peintre de la laideur. La construction de ses romans est souvent chaotique, le style de la narration lourd et saccadé. Le paysage, dans la plupart de ses récits, est presque inexistant et les objets qui entourent les personnages baignent dans une atmosphère de grisaille qui n'a rien de pittoresque. Pourtant, cette austérité, où aucun rêve ne vient enjoliver les choses et les êtres, n'est pas exempte de grandeur; la volonté du témoignage et le refus passionné de fermer les yeux, ne serait-ce que pour un moment, s'y manifestent avec force.
Dans l'ouvre romanesque de Brenner, l'influence de Dostoïevski est certaine. Son univers est surtout un univers humain et l'action tout entière se dessine à travers les dialogues et à travers les monologues intérieurs des personnages. On y sent une longue interrogation, une volonté passionnée et angoissée d'aller jusqu'au fond des choses, un aveu de la faiblesse humaine et de son impuissance à se libérer. Si les phrases sont souvent hachées, inachevées, c'est que l'homme dévoré par l'esprit est incapable de s'élever au-dessus de la matière. Brenner n'accepte pas le compromis; ses héros se consument et meurent sans illusions et sans espoir.
L'humanisme de Brenner est une révolte qui refuse toute mystification, mais assume une lutte où l'individu se sent lié à tous les hommes et tout d'abord aux juifs, dont la condition est la sienne. Son socialisme, imprégné des idées de Tolstoï, est surtout humanitaire; en optant pour l'idéal national du sionisme, il y voit le seul espoir, encore fragile, de libérer les juifs de l'humiliation et du mépris, de les attacher à la terre et de créer une société fondée sur la justice.
Cependant les romans et récits palestiniens de Brenner proclament la distance inéluctable entre l'idéal et la faiblesse humaine. Dans son roman De-ci de-là, il écrit la déception et la décadence d'un groupe de pionniers venus en brandissant des idéaux révolutionnaires et brisés par le travail. Deuil et Échec, son dernier roman, est la longue confession d'un homme malade et tourmenté qui, après avoir échoué à s'épanouir par le travail physique, sombre lentement dans une vie sans joie.


L'écriture au service de l'action


Malgré le pessimisme foncier qui accompagne toute son ouvre, Brenner demeure toute sa vie un militant. Il est un écrivain engagé; pour lui, le travail littéraire n'est qu'un des moyens de l'action sociale et humaine, et non un but en soi. Il refuse toute thèse préconçue et ne se plie jamais à un opportunisme idéologique; cependant, il croit fermement que la libération de l'individu et celle de la société sont liées. À travers ses essais, consacrés surtout aux écrivains de langue hébraïque ou yiddish, il analyse souvent les phénomènes sociaux de son temps: il croit en la justice sociale, mais juge sévèrement le socialisme mal digéré de ceux pour qui le bavardage politique ne se traduit pas dans des actes; il accepte le sionisme, mais présente une image satirique de certains sionistes pour lesquels l'idéal n'est qu'une évasion spirituelle destinée à compenser la médiocrité du quotidien. Dans l'un de ses essais les plus connus, Notre Autocritique, où il analyse l'ouvre de S. Abramovitz (connu surtout sous le nom de Mendélé Mokher Seforim), il brosse un tableau saisissant et cruel de la société juive en Russie, dans son humiliation et sa décadence, analyse impitoyable, mais dictée par l'amour et la volonté de redressement.
La popularité de Brenner vient non seulement de son talent d'écrivain, mais aussi de ses qualités morales et de son activité militante.

D'après l'Encyclopedia Universalis