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L'espérance et l'action
Un texte du Rav Léon
Askénazi, à l'occasion de l'anniversaire de sa
disparition
Le 9 heshvan 5757 disparaissait
une " lumière de la Gola ", le Rav Léon
Askénazi, ainsi défini par l'un de ses maîtres,
le Rav Tsvi Yehuda Kook (Zal).
Manitou reconnaissait combien la rencontre avec ce maître
avait profondément bouleversé sa vision historique
et toranique du monde.
" Tout ce que j'avais appris jusque là, je l'ai
revu à travers le prisme d'Israël. En une nuit, de
Juif, je redevenais Hébreu. La Thora des Juifs de Diaspora
redevint pour moi la Thora des Hébreux. Avant que je ne
rencontre le Rav Kook, je connaissais la Thora. Mais le Rav m'a
fait descendre de cette Thora sur la terre d'Israël ".
Nous, ses élèves, qui avons eu la chance d'étudier
la Thora en Israël, en particulier de sa bouche, en Français
mais aussi dans la langue, véhicule de sainteté,
Lashon Hakodesh, avons, à notre tour, perçu
cette même Thora à travers la dimension de l'Hébreu
qui se retrouve chez lui, à Jérusalem, cette ville
tant convoitée, objet de toutes les passions, catalyseur
des violences injustifiées des nations aveuglées
par leur convoitise et oubliant la parole des prophètes
annonçant le rassemblement des exilés d'Israël
des confins de l'univers pour les ramener à Jérusalem.
Annonçant aussi le déchaînement des nations
qui s'y opposent d'abord pour enfin l'accepter. La Schekhina,
présence divine, elle aussi dans l'exil, se dévoilera
dans l'histoire humaine pour protéger le peuple d'Israël
de l'anéantissement.
Manitou, à l'instar du texte biblique et de nos sages,
nous transmettant, à travers son intuition de visionnaire,
ce même enseignement de l'espérance ainsi qu'une
énorme patience devant les évènements qui
pouvaient retarder la possible réalisation du projet du
Créateur.
Inlassablement, à travers le décryptage exégétique
du texte biblique, il nous faisait comprendre les étapes
successives de cette histoire des engendrements de générations
d'hommes qui doit déboucher sur les temps messianiques,
fin des tâtonnements de l'histoire humaine, mais jamais
fin ultime.
Les années ont passé et cette lumière qui
nous éclairait s'est malheureusement éteinte, nous
laissant un goût d'espérance en des lendemains meilleurs,
mettant un terme à la folie humaine.
Lors des incidents causés par l'ouverture d'une porte
au bout du tunnel qui longe le Mur des Lamentations, vieux de
2000 ans, il disait " La guerre pour Jérusalem a
commencé ; elle sera dure et âpre, mais nous gagnerons.
"
Telle est notre espérance présente ! Qu'enfin la
vérité jaillisse ! " Emet meertz titsmakh
!". La vérité jaillira de la terre.
Monique Schönberg |
Rabbi Ismaël, son fils,
disait : " Celui qui étudie la Thora en vue de
l'enseigner, celui-là est aidé à apprendre
et à enseigner. Et celui qui étudie en vue de l'accomplir,
celui-là est aidé à l'étudier, à
l'enseigner et à l'accomplir (Avot, IV, 5) ".
On sait la place importante que l'étude et le savoir occupent
dans la tradition d'Israël. Mais l'on sait aussi la place
privilégiée qui est donnée à l'accomplissement.
Nous en sommes déjà avertis par le modèle
de la Création que nous raconte le récit de la
Genèse. A la fin du premier récit de la Thora en
effet le monde est défini par l'expression suivante :
" L'?uvre que Dieu avait créée en vue d'un
accomplissement. "
En ce terme de 'Assiah " - le faire, l'agir, l'accomplir
- tient une place centrale dans la préoccupation du projet
d'existence de l'âme hébraïque.
Le monde que l'homme a pris en charge au début de l'histoire
des civilisations attend un accomplissement. Non un achèvement
pur et simple qui mettrait un terme au projet de la vie, mais
l'?uvre interrompue d'un aménagement des possibles de
l'homme, qui ménagerait aussi - dans le même temps
- les expériences légitimes du meilleur et du plus
être.
C'est pourquoi, la conception de l'accomplissement selon la tradition
juive est inséparable de l'effort de la transmission de
l'espérance. C'est pourquoi aussi le savoir et l'étude
ont une telle importance, car ils sont compris comme l'apprentissage
de l'espérance, son déchiffrement et sa maintenance.
Inévitablement, cependant
- et cela ressort de la nature humaine elle-même qui consiste
à vivre dans la durée - inévitablement,
deux forces sont simultanément à l'?uvre dans une
tradition vivante. Et ces deux forces distribuent les énergies
des personnes dans deux mondes apparemment différents
et contradictoires, mais qu'il s'agit d'harmoniser.
D'une part les forces de l'impatience, du désir de l'accomplissement
immédiat. Et ces forces sont l'âme même de
ce que l'on nomme les hommes d'action. Cette impatience est positive,
car elle traduit l'impatience du Créateur Lui-même.
Mais tant que le temps dure, et que les signes de l'ultime accomplissement
n'ont pas encore germé, cette impatience porte avec elle
le risque de l'achèvement prématuré, et
de l'approximation qui s'attache à l'inaccompli.
Les forces de la patience, d'autre part, sont l'âme même
des hommes de l'étude. Car l'étude est patiente
dans la mesure précisément où le déchiffrement
de l'esprit réclame en principe tout le temps de l'éternité.
A l'abri de cette patience, toutes les espérances sont
à l'abri et toutes les possibilités sont préservées.
Et il y a dans cette patience comme une sorte d'amitié
pour le projet du Créateur, afin que toutes ses chances
soient multipliées. Et pourtant, il s'y attache le risque
de faire que le temps de l'attente devienne, celui de l'ennui
et de l'angoisse, parce qu'il est urgent de vivre.
Une transmission des valeurs et des idéaux qui ne déboucherait
pas à chaque étape de la vie sur l'accomplissement
proprement dit risque de perdre sa fécondité. Et
c'est pourquoi Rabbi Ismaël nous avertit que " celui
qui apprend en vue d'accomplir, non seulement est capable de
transmettre, mais aussi d'accomplir. "
Que le temps de l'espérance soit aussi le temps de l'action,
cela est vrai en principe de toute période importante
de l'histoire d'un peuple. Mais c'est d'autant plus vrai lorsque
la réalité a déjà rejoint l'espérance.
Et c'est sans doute ce que les historiens de l'avenir diront
de la génération présente de l'histoire
d'Israël.
L. Askénazi
Jérusalem
27 avril 1972
d'après LE LIEN (Grenoble) |