Le jardin dans le judaïsme

Par Joseph COHEN

Exposé tenu le 7 mai 2001 à l'IUFM de Lyon

séminaire consacré au Jardin, miroir de l'Europe

 

Le jardin dans la Bible

 

La première mention du jardin dans le judaïsme se trouve évidemment dans le récit biblique sur le jardin d'Eden. En effet, le deuxième chapitre du livre de la Genèse nous rapporte comment Dieu planta un jardin dans Eden et y plaça l'Homme qu'il venait de créer « pour le cultiver et le garder ». Il nous est dit encore que le jardin contenait toutes sortes d'arbres « agréables à voir et bons à manger ». Au milieu du jardin, se trouvaient « l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance du bien et du mal ». Un fleuve sortait d'Eden et irriguait le jardin. Il se divisait en quatre bras : le Pishon, le Guihon, le Tigre et l'Euphrate. Le propriétaire de ce jardin, donc Dieu lui-même, se réservait le droit sur ces deux arbres et interdit à l'homme de manger de leurs fruits. Mais l'homme, incité par la femme, trahit Dieu et commet un péché, le péché originel, en mangeant le fruit interdit. Dieu alors punit l'homme et le chasse du jardin d'Eden. Il le renvoie à la terre d'où il a été pris, c'est à dire vers le sol poussiéreux avec lequel il l'a fabriqué, un lieu désertique par rapport à l'Eden.

Le mot Eden dérive soit d'une racine hébraïque signifiant « fertilité, abondance, plaisir, délice », soit du sumérien « steppe, pays plat ».

Dans la littérature hébraïque, le jardin d'Eden est devenu le paradigme du paradis, symbole du bonheur divin, le lieu idyllique que Dieu choisit initialement comme résidence de  l'homme.

Plusieurs thèmes de la Création et du jardin d'Eden se trouvent chez d'autres peuples de l'ancien Orient, comme, par exemple, les Babyloniens. Le Louvre renferme une fresque murale de taille relativement importante (2,5m sur 1,75m) qui nous parvient du palais de Mari sur l'Euphrate. La ville a été détruite vers 1760 avant J.C.

La fresque est appelée la fresque de l'Investiture ou la fresque du Paradis.

Dans un panneau se trouvent deux déesses portant un vase d'où jaillissent quatre fleuves. De chaque côté on remarque deux arbres gardés par des chérubins.

Ces traits figurent dans le récit biblique sur le jardin d'Eden.

On peut facilement imaginer que les auteurs bibliques ont puisé d'un même fonds commun : deux arbres, quatre fleuves, un roi et des chérubins qui gardent le lieu.

Cependant, dans la Bible on relève une différence importante : ce n'est pas le roi qui est au centre de l'événement mais l'homme, ce ne sont pas des déesses qui font jaillir les quatre fleuves, mais Dieu, le Dieu unique, maître de la Création, comme il sied au récit monothéiste de la Bible.

Par ailleurs, la Bible nous rapporte dans le livre du prophète Ezéchiel (28, 13 et suivants) un tout autre récit sur le Jardin d'Eden. Ce récit semble être plus ancien que celui de la Genèse et moins élaboré par les rédacteurs yahvistes. On sait que des textes importants de la Tora, dont le livre de la Genèse, furent rédigés aux 9ème- 8ème siècle avant J.- C. alors qu'Ezéchiel , par contre, a vécu au 6ème siècle av. J.- C., donc trois siècles plus tard. Il est probable qu'il a gardé le souvenir d'une tradition plus ancienne que celle qui apparaît dans le livre de la Genèse.

Dans le livre d'Ezéchiel, le jardin apparaît comme le jardin de Dieu, alors que dans Genèse c'est Dieu qui le plante spécialement pour l'homme.

Cette notion du jardin, lieu de résidence de la divinité est assez répandue chez les peuples de l'Antiquité. C'est d'ailleurs l'endroit de prédilection pour le service divin. De nombreux peuples célèbrent leur culte sacré dans les jardins.

Chez Ezéchiel le jardin est placé sur une montagne sacrée. Le Mont Sion est, par ailleurs, considéré comme « une montagne sacrée, lieu de résidence de Dieu. » (Ps. 24, 50 ; 43, 3 ; 70, 68-69 ; 132, 13-14).

La montagne sacrée est généralement très élevée. Les Cananéens et les Babyloniens racontaient que leurs dieux résidaient sur des hautes montagnes qui sortaient du centre de la terre et atteignaient le haut du ciel. Chez les Hébreux, Dieu apparaît à Moïse sur le Mont Sinaï, ou Mont Séïr, et les Caraïtes affirmaient que Dieu apparut plutôt sur le Mont Garizim, près de Sichem.

La montagne sacrée, ou quelquefois la ville sacrée, est également considérée comme le centre de la terre dans les mythologies des autres peuples de l'ancien Orient. Les Babyloniens estimaient que Babylone constituait le centre du monde et les Grecs pensaient que Delphes était ce centre. Les Egyptiens, quant à eux, avaient une montagne sacrée qu'ils considéraient comme le centre de la terre. Dans la Genèse il n'est fait aucune mention d'une montagne sacrée ou d'un jardin qui serait la demeure de Dieu. Au contraire, le jardin d'Eden est bien situé du point de vue géographique et paraît bien réel et naturel.

Dans le récit d'Ezéchiel apparaissent des éléments nouveaux qui rendent le jardin encore plus merveilleux. Ce sont les pierres précieuses et l'or que l'on trouve dans le jardin. Il y est dit (Ezéchiel 28, 13) que « Le jardin de Dieu était entouré de murs en pierre précieuses : sardoine, topaze et jaspe, chrysolithe, béryl et onyx, lazulite, escarboucle, émeraude et l'or. ».

Dans l'Epopée de Gilgamesh (Table 11, lignes 163-166), il est raconté que Gilgamesh part à la recherche d'Outa Napishtim pour connaître le secret de l'immortalité. Il gravit la montagne sacré du grand Dieu Shamash et subitement « Il voit devant lui un jardin merveilleux dont les arbres portent des pierres précieuses au lieu de fruits. Il voit les l'ivoire, le saphir, les lapis-lazuli qui pendent en grappe, leur vue est agréable et réjouit le cour, il voit aussi l'épine et la ronce qui portent des pierres précieuses et des perles de mer . ».  Parmi ces pierres sont mentionnées dans la Bible l'ivoire et le saphir, ce dernier mot provient de l'hébreu « sapir ». (L'épopée de Gilgamesh, p. 134. Cf. la bibliographie ci-dessous).

Sur l'ivoire il est dit qu'il était « agréable à voir », c'est exactement la même expression qui décrit les fruits du jardin d'Eden de la Genèse (2, 9).

En outre, Sidouri-Sabitou, qui apparaît dans l'Epopée de Gilgamesh, est « la femme de vin ». Elle habite près des arbres merveilleux qui portent des grappes « de pierres précieuses au lieu de fruits ».

D'autres légendes anciennes rapportent que le jardin de Dieu avait des arbres aux fruits d'or et surtout de pommes d'or. C'est, peut-être, par rapport à ces légendes que Genèse défend l'idée explicitant que l'or provient du pays de Hawila (Genèse 2, 11). (et non pas des arbres du jardin d'Eden de la légende ancienne). Cette explication est rapportée par une digression, qui n'a aucun rapport direct avec le texte. 

D'après Ezéchiel, c'est un chérubin, (mot d'origine hébraïque désignant un ange merveilleux), qui doit garder le jardin, mais il  trahit la confiance que Dieu lui avait accordé et dérobe les pierres précieuses. Dieu alors le chasse du jardin. Le livre de Genèse attribue ce méfait à l'homme qui mangea du fruit interdit et fut déchu du jardin.

 Si l'on reconstitue tous les thèmes racontés par Ezéchiel sur le jardin, on obtient la légende suivante :

Au début de la création du monde, Dieu résida dans un jardin merveilleux en Eden, sur une montagne sacrée. Dans ce jardin il y avait des arbres magnifiques. Ils portaient comme fruits de pierres précieuses tels le saphir, l'ivoire, le jaspe ainsi que de pommes d'or.

Il y avait également de pierres de feu - sources des tonnerres. Dieu nomma un chérubin pour surveiller le jardin mais, celui-ci, a pêché en volatilisant les pierres précieuses et en les cachant dans de plis secrets de son corps. Dieu alors l'a déchu du jardin.

Ezéchiel a sûrement puisé cette légende dans une épopée cananéenne voire même israélite, en y intégrant aussi de motifs répandus dans d'autres traditions orientales anciennes. Ces traditions circulaient probablement à l'oral sous la forme de poésie lyrique car, le style, la structure linguistique et la forme littéraire des expressions trahissent leur origine folklorique orale. Le livre de Genèse, élaboré et adopté suivant la doctrine yahviste du monothéisme, ne pouvait conservé tous ces éléments mythologique. Il n'a donc gardé que les thèmes qui correspondaient à la théorie puriste de Dieu unique maître de la nature et des événements. Cependant, même à travers son récit on aperçoit des éléments de la légende primitive ancienne.

Le jardin dans la littérature rabbinique

Dans la littérature rabbinique, qui apparaît à partir du 2ème siècle avant J.-C., le jardin d'Eden est idéalisé. On distingue deux jardins d'Eden : le céleste et le terrestre. Le céleste est le paradis, mot d'origine persane qui signifie « jardin ». Il est opposé souvent à la Géhenne « enfer ».

Selon un livre rabbinique (Avot 5, 20) « Le dévoyé est condamné à la Géhenne, tandis que le juste ira dans le jardin d'Eden ».

Dans un autre ouvrage rabbinique (Yalqut Shimoni sur Genèse), le jardin d'Eden est un endroit où coulent quatre fleuves : de lait, de vin, de baume et de miel. Il y a aussi huit cent sortes d'arbre où le plus petit d'entre eux est plus odorant que tous les arbres de la terre.

Dans chaque coin de ce jardin se tiennent six cent mille anges qui chantent d'une voix douce des louanges à Dieu. Dieu lui-même est assis dans le jardin expliquant la Tora aux justes de tous les âges.

Quelques éléments ici nous ramènent au récit d'Ezéchiel : Dieu réside dans le jardin d'Eden entouré des anges.

Notons encore que dans la Bible plusieurs versets identifient symboliquement la terre d'Israël au jardin d'Eden. Le prophète Joël, par exemple, décrit la terre d'Israël comme « le jardin de Dieu » (2, 3). Dieu a pitié de son peuple, « il va faire de son désert un Eden, de sa steppe un jardin du Seigneur » (Isaïe 51, 3). La terre, en effet, se prête à cette lecture : promise, puis donnée, menacée et perdue, enfin retrouvée, elle présente les mêmes chances que le premier jardin de Dieu ; elle est la terre de Dieu. Elle est présentée comme terre où ruissellent de lait et de miel ». (Nombres 14, 7). Une terre idyllique comme le jardin d'Eden. Le grand jardin que constitue la terre d'Israël appartient donc à Dieu et l'homme n'est que le gardien. C'est Dieu, le propriétaire, qui a accordé à son peuple d'entrer dans son jardin et Jérémie dit au nom de Dieu : « je vous ai conduits au pays du verger pour vous rassasier de ses fruits et de ses biens » (2, 7). 

Le jardin dans la Kabbale

Plus tard, c'est seulement au Moyen Âge qu'on retrouve le jardin d'Eden.

La Kabbale, doctrine mystique du judaïsme, est souvent comparée au Pardèss « Paradis » dont la racine est constituée des quatre lettres P.R.D.S., lettres initiales désignant les quatre manières possibles d'interpréter la Tora : Peshat, Réméz, Derash, Sod, c'est à dire, interprétation littérale, allégorique, exégétique et mystique.     

Pour montrer l'immensité de ces interprétations l'histoire raconte que quatre sages sont rentrés dans le Pardèss (la Kabbale), le premier est sorti fou et a perdu toute sa raison, le deuxième est devenu simplet, plus ignorant que jamais, le troisième a perdu sa foi et le quatrième est devenu plus sage qu'auparavant.

Le jardin dans la littérature hébraïque médiévale

C'est dans la littérature hébraïque de l'Espagne médiévale qu'on trouve pour la première fois de chants de louanges sur le jardin en tant que lieu de plaisir et d'agréments.

 C'est l'époque (10-12ème siècle) où juifs chrétiens et musulmans se côtoient et s'influencent mutuellement au bénéfice de leurs civilisations respectives. C'est l'âge d'or de la littérature hébraïque et des autres sciences juives. La poésie hébraïque profane fait son apparition et se développe de plus belle à côté des autres genres littéraires. 

Le chant exaltant la beauté du jardin, le jardin artificiel élaboré par l'homme, est un genre littéraire presque nouveau dans les lettres hébraïques en général. Cependant, ce thème ne constitue pas un genre indépendant mais apparaît comme un fond qui sous-tend les chansons à boire où les poèmes d'amour, si répandus à cette époque. C'est le triangle composé des trois thèmes principaux: la nature, le vin et l'amour. La description du jardin et des fleurs constitue une unité courte car souvent elle est dépendante des autres thèmes. Dans la poésie arabe de la même époque, et surtout dans celle de l'Andalousie, ce thème sur la nature est assez courant et apparaît dans des poèmes assez longs et développés au point de créer un genre littéraire spécial appelé le Rawchiat.

Le jardin est décrit essentiellement à la saison du printemps au moment de la floraison des fleurs et des arbres. Le poète cherche dans sa description à susciter un sentiment de fraîcheur et d'abondance. Les couleurs des fleurs et des plantes du jardin sont toujours versicolores, vives et chatoyantes laissant répandre un parfum agréable et enivrant. Ces éléments du jardin sont souvent décrits par des techniques anthropomorphiques, rendant le jardin animé et en perpétuel mouvement.

Pour illustrer ces assertions voici un poème du poète juif R. Moïse Ibn Ezra qui a vécu à Grenade entre 1055 et 1135. (Tous les poèmes qui suivent sont trraduits de l'hébreu par J. COHEN)

                                    Le jardin au printemps

                        Le jardin se revêt de tuniques rayées

                        Et ses parterres - de broderies égayées

,

Chaque arbre s'enveloppe de beaux atours   

                        Exposant ses merveilles aux alentours.

 

                        Le nouveau bourgeon est fleurit

                        Accueil le printemps et lui sourit.

                       

                        Mais en tête de tous défile le lys,

                        En souverain sur son trône il se hisse

.

                        De ses feuilles gardiennes fière il surgit,

                        Heureux de porter ses nouveaux habits.

 

                        Celui qui ne lève pas son verre en son honneur,

                        Verra son péché retomber sur sa demeure.

Ce poème, qui décrit le renouvellement de la nature au printemps, emploie en hébreu de nombreux termes bibliques puisés dans le récit de la sortie de Joseph de la prison et de son élévation au grade de haut dignitaire dans la cour de Pharaon, ainsi que dans la description des habits du Grand Prêtre ou de l'Arche de l'Alliance (Exode 28, 4 ; 29, 9 ; 25-39 ; I Rois 7-10).

D'autres expressions font allusion à la sortie des Hébreux d'Egypte au printemps.

Le poème atteste clairement le lien qui existe entre la description du jardin et la chanson à boire.

Il décrit un défilé royal des tous les habitants du jardin. Ils sont revêtu des toilettes brodées, richement coloriées et précieuses. Ils se réveillent de la prison de l'hiver et commencent à fleurire. Le point culminant du poème est la floraison du lys, roi des fleurs. Il domine par sa magnificence tous les autres sujets. Le thème se développe des objets qui sont éloignés à ceux qui sont de plus en plus proches et précis du jardin : le jardin, l'herbe, l'arbre, le bourgeon et finalement le lys, la plus belle des fleurs. 

La fin du poème est une invitation à boire à l'occasion du réveil du printemps et de la renaissance de la nature.

Le lys, roi des fleurs ici, symbolise la bien-aimée dans le Cantique des Cantiques : « comme le lys entre les chardons, telle est ma bien-aimée » dit l'amant (Cantique des Cantiques 2, 2)

La chanson sur le jardin, nous l'avons dit, est liée aussi au poème d'amour.

En effet, tout beau jardin évoque l'amour et les poètes juifs du Moyen Âge ne manquaient pas, comme leurs collègues musulmans de l'époque, de se servir du jardin pour célébrer l'amour et y faire rencontrer les jeunes amants passionnés entre les belles fleurs.

Voici un poème d'amour du poète juif Nahum de la deuxième moitié du 13ème siècle, où la description du jardin et l'amour s'entremêlent.

L'hiver est parti

           L'hiver est parti - ma tristesse aussi,

       L'arbre a fleuri - de joie je suis remplit.

 

        Nards, plantes et vergers se sont unis

          Pour donner du parfum et des fruits.

 

       Les amants se donnent à l'amour et sourient.

     Reviens mon cerf bien-aimé, reviens au nid.

 

                        Viens, abreuve-ta soif de mon vin aromatisé

                        Bois mon lait embaumé.

 

                        Quand le jardin fleurit, le chagrin s'enfuit,

                        Myrte et parterres brodés chasse le souci.

 

                        Pourquoi, l'ami, berger parmi les paons,

                        Abandonnes-tu ta ville et ton lit ?

 

                        Reviens vers ton épousée, elle te comblera de chants,

                        Allume la bougie, que l'éclat se répand !

Dans la poésie juive sur le jardin, il y a une idéalisation consciente de la nature. Ce n'est pas la nature telle qu'elle est dans son état sauvage qui intéresse le poète, mais la nature élaborée dans sa sublime manifestation artistique, avec sa plus belle ornementation coloriée et esthétique, au plus beau moment de sa floraison. Le jardin y est toujours en fleur, la rose ou le lys (les deux seules fleurs mentionnées dans la Bible) se présentent avec leurs plus beaux atours, parfumés et richement colorés. Le poète préfère un esthétisme artificiel et les matériaux qu'il choisit pour les décrire et les concrétiser sont pris de différents arts plastiques de la vie quotidienne, des vêtements, des bijoux,  du tapis persan etc. L'ornementation, bien qu'artificielle, devient une valeur en soi, elle est imaginaire, verbale.

Cette ornementation relève certes de la réalité de l'Andalousie de l'époque, mais elle est poussée à l'extrême par l'imagination créatrice de l'auteur

            Le chercheur anglais James Dickey, spécialiste de l'architecture du jardin musulman et notamment du jardin andalous, affirme ceci :

            « Si les jardins de Versailles ont adopté le critère de Descartes, qui met en valeur la victoire de l'intelligence de l'homme sur la nature et de son pouvoir de la dominer et d'imposer sa volonté sur elle, le paysage des jardins romantiques anglais, suit un principe tout autre, il représente la soumission de l'homme à la nature. » (Cf. la bibliographie ci-dessous).

            Dans les poèmes sur le jardin de la littérature juive de l'Espagne médiévale se dégage un esprit différent : C'est Dieu lui-même qui domine tout, aussi bien l'homme que la nature. La puissante domination de Dieu se manifeste dans son pouvoir d'envoyer la pluie ou non. La survie du jardin est donc tributaire du désir de Dieu, et celui-ci dépend de l'action de l'homme. Voici un exemple extrait d'un poème de R. Salomon Ibn Gabirol qui a vécu à Malaga entre 1021 et 1054.

                                                A l'encre de ses pluies

 

                                    L'hiver écrit à l'encre de ses pluies et ses averses,

                                    De sa plume d'éclairs et de sa main de nuées,

Une lettre sur le jardin en pourpre et en azur

Que nul artiste n'a jamais conçu.

C'est pourquoi, lorsque la terre désire le ciel,

Elle brode sur ses parterres des fleurs comme des étoiles.

 

            Le thème principal ici est la rencontre amoureuse entre le ciel, qui symbolise le mâle, et la terre, qui est la femelle. La pluie, qui dépend de Dieu, tombe et fertilise la terre. De cette rencontre sont engendrées les fleurs. Pour plaire au ciel et l'attirer, les fleurs se revêtent l'aspect des étoiles. Ainsi, le haut et le bas se rejoignent dans l'amour.

            L'exaltation de la nature et du jardin, chez les Juifs comme chez les Musulmans, est assez significative eu égard à leur histoire. Tous deux, peuples nomades à l'origine, ont vécu dans des pays arides et désertiques. Leur admiration à la nature en herbe et au jardin fleuri, ornés par l'homme, prend une dimension bien particulière. Le désert pour eux symbolise la terre en friche, l'isolement, la sécheresse, le silence ; le lieu de résidence des mauvais esprits et démons, la vie monotone et ardu. Le jardin sur terre est l'antithèse du désert. Il est le reflet du jardin d'Eden céleste. Il constitue une unité fermée indépendante, séparée du reste du monde. Il est entouré d'un enclos pour le protéger du monde urbain ou du désert. C'est le lieu de refuge des amoureux, des bons vivants, des gens heureux qui apprécient la beauté, le vin, le parfum et l'amour.

            Ce jardin terrestre, bien qu'il soit l'ouvre de l'homme et artificiel, conserve quelque chose du jardin d'Eden céleste.

            Une légende juive raconte que lorsque Dieu voulut chasser l'homme du jardin d'Eden, celui-ci décida d'emporter avec lui un souvenir de ce magnifique jardin, alors il prit un bourgeon de myrte et le rapporta sur terre. Cette plante odoriférante continue à pousser encore aujourd'hui et distille une merveilleuse fragrance dans tous les jardins du monde.        

Bibliographie :

Abed Azrié, L'épopée de Gilgamesh, Ed. Berg international, Paris 1979.

Bible, la TOB (Traduction ocuménique de la Bible), Paris, 1975.

Dickey James, "The Hispano-Arab Garden, it's Philosophy and Function", Bulletin of the School of oriental Studies, Vol. XXXI 1668.

« Le jardin d'Eden », Encyclopaedia biblica, Jérusalem, Vol. II. 1954, pp. 531-536. (en hébreu).

« Le jardin d'Eden », Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Ed. Le Cerf, Paris 1993, p. 330.

« Le jardin dans la Bible » Collectif, divers textes, dans Le dossier de la Bible n°7, mars 1985.

Itzhaki Masha, Le jardin des fleurs. Les poèmes hébreux sur le jardin et les fleurs au Moyen   Âge, Tel-Aviv, 1988 (en hébreu).

Itzhaki Masha et Garel Michel, Jardin d'Eden, jardin d'Espagne, Poésie hébraïque médiévale en Espagne, Ed. du Seuil, Paris 1993.