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La poésie dans la fournaise

La poésie hébraïque entre les deux guerres choisit plutôt pour thèmes la foi messianique de la renaissance du peuple juif ou le déclin de l’individu au sein de la civilisation urbaine. Puis, elle crie l’indicible horreur des persécutions subies en Europe nazie, pour enfin chanter l’indépendance retrouvée.

Le chef de file de cette école est U. T. Grinberg (1894-1981, établi en Israël en 1924): ses recueils expriment le déracinement de l’homme moderne ‘Ema gedola veyareah  (Grande Peur et lune ); au thème de l’holocauste il consacre Rehevot hanahar  (Les Étendues du fleuve ).

A. Shlonsky (1900-1973) a exercé une influence importante sur les lettres juives: son style a introduit des formes et des expressions nouvelles dans l’hébreu de la poésie. Les thèmes proprement juifs ou empruntés au rite ne sont pas entièrement absents, mais ne tiennent pas dans sa poésie la place qu’ils ont chez Grinberg, par exemple. Influencé par le symbolisme russe, en particulier par Alexander Blok, il montre à son tour le déclin de la civilisation urbaine et, par contraste, glorifie le halus  (pionnier) dans Devaï, Begalgal, ‘al mil’et  (1957, Douleur , tourbillon , solitude ). Comme ses prédécesseurs, Shlonsky est un traducteur de grande valeur: il a donné les versions hébraïques des principaux auteurs russes (Pouchkine, Gorki, Blok), comme de Brecht, de Shakespeare ou de Shaw.

N. Alterman (1910-1970) est d’abord poète lyrique avec Kohhabim bahus  (Étoiles au dehors ). Traducteur de Villon et de ballades écossaises, il en subit l’influence: Šire makot misraym  (Chants des plaies d’Égypte ) et ‘Ir hayona  (La Ville de la colombe ). Comme celui de Shlonsky, son hébreu est celui du milieu du siècle; il n’est pas volontairement archaïsant. Il n’est pas étonnant qu’il soit devenu l’auteur de chansons populaires et de refrains célèbres: ‘Anše ‘aliya hašeniya  (Les Hommes de la seconde émigration ).

Traductrice elle aussi, spécialiste de littérature comparée, Léa Goldberg (1911-1970) a une place de choix parmi les poètes contemporains; ses poèmes se caractérisent par leur sensibilité et leur lyrisme. Son immense culture donne un prix tout particulier à ses travaux de critique littéraire.

C’est une tout autre voie qu’ont choisie les Cananéens, dont le chef de file fut le poète Y. Ratoche (1908-1981). Ils rejettent délibérément tout le patrimoine juif, se voulant exclusivement sémites et appelant les Arabes à rejoindre cette grande et antique famille: jusqu’à présent, leurs appels sont restés vains, ce qui n’a nullement empêché Ratoche de dédier ses poèmes à Baal et Astarté, divinités du panthéon sémitique.

Trois romanciers

Depuis un demi-siècle, deux noms occupent la première place dans les lettres hébraïques: S. J. Agnon (1888-1970) et H. Hazaz (1897-1973). Le premier surtout, prix Nobel de littérature en 1966, doit son immense succès à la synthèse harmonieuse entre l’élément juif qui constitue la trame de ses récits et les méthodes littéraires modernes. Sa langue est volontairement truffée de réminiscences, de rabbinismes, souvent difficilement compréhensibles à tous ceux qui ne sont pas familiers de la culture juive traditionnelle. Lors de la remise du prix Nobel, on lui demanda s’il n’avait pas subi d’influences extérieures, en particulier celle de Kafka; il refusa de l’admettre, mais la méthode moderne, surréaliste, de certains de ses contes, ‘Ad hena  (Jusqu’ici ), par exemple, laisse le débat ouvert.

Hazaz s’est voulu le témoin de l’unité du peuple juif dans sa profonde diversité; juif russe, il a décrit les "premières générations" dans Dorot rišonim , puis s’est tourné vers les Yéménites qui, en se transplantant de leur Yémen natal en Terre sainte, franchissent en un court instant des siècles d’évolution et de civilisation. Il leur consacre Hayoševet baganim  (Toi qui demeures dans les jardins ), et Yaiš . Enfin la dialectique Galut-Geula  (Exil-Délivrance) l’a beaucoup préoccupé: Beqes hayamim  (À la fin des temps ) est un drame dont le héros est le pseudo-messie Sabbataï Tsvi (XVIIe s.).

Y. Bourlah (1886-1969) n’a pas eu besoin de se dépayser pour peindre les juifs orientaux (sephardim); né à Jérusalem, il descend lui-même d’une famille sépharade et consacre à sa communauté d’origine toute son œuvre romanesque, qui est considérable: ’Išto hasenua  (L’Épouse qu’il déteste ) relate les vicissitudes de la vie conjugale de Daoud et de la pauvre Rachel, que Daoud a dû épouser parce que Massaouda, sa mère, en avait ainsi décidé...; ‘Alilot ‘aqabia  (L’Épopée d’Aqabia ), l’un de ses meilleurs romans, dépeint un héros sephardi profondément nationaliste, tel que le voit Bourlah, lequel emprunte nombre de traits à la Bible ou à la tradition juive.

La littérature israélienne

Trois ans à peine après la révélation à la face du monde de l’étendue du malheur qui a frappé le peuple juif renaît un État indépendant (1948) qui, dix-neuf siècles après l’exil, rassemble les exilés. Les écrivains de la nouvelle génération sont en majorité natifs du pays, membres de kibboutzim et du Palmah (unités de choc de l’armée), d’où leurs surnoms de "génération de la guerre d’Indépendance" ou de "génération du Palmah".

Profondément intégrés à la vie du kibboutz, ces écrivains s’attachent à l’exaltation des valeurs collectives. Leurs héros, à la fois bâtisseurs et combattants, font délibérément le sacrifice de leur vie pour défendre leur idéal. Ils n’ont pratiquement pas d’existence en dehors du microcosme du kibboutz. Les auteurs les plus en renom sont Yigal Mossinsohn, né en 1917 (Gris comme un sac ); Moshé Shamir, né en 1921 (Il s’en est allé par les champs , De ses propres mains ); Nathan Shaham, né en 1925 (Toujours nous ); Aharon Megged, né en 1920 (Vent des mers , Hedva et moi ). S. Yizhar (né en 1916) note cependant un certain désenchantement du kibboutz dans Ephraïm retourne à la luzerne . Ses romans les plus importants sont ceux où il livre des drames de conscience: Le Prisonnier de guerre et Les Jours de Tsiqlag . Le poète le plus marquant de la génération du Palmah est Haïm Gouri (né en 1923), avec Fleurs de feu et Rose des vents .

Les auteurs de cette génération découvrent, bien qu’avec recul, l’horreur de l’Holocauste. Dans leurs rencontres avec les rescapés des camps de la mort, ils prennent conscience de toute la portée de la tragédie: Six Ailes pour chacun , de Hanoch Bartov (né en 1926), Ni de maintenant, ni d’ici , de Yehouda Amihaï (né en 1924), s’en font l’écho.

En effet, la littérature du génocide est au moins autant l’œuvre de témoins, de victimes dont la langue d’expression est une des langues occidentales (André Schwartz-Bart, Élie Wiesel) que celle d’auteurs israéliens. Nombre de ces derniers, devant un drame aussi terrible, n’ont pu réagir que par le silence. Pourtant, les survivants commencent à écrire. Ainsi, Aharon Appelfeld (né en 1932) n’évoque pas directement la Shoah, mais le temps d’avant et d’après la tragédie. Ses héros sont des Juifs assimilés, ignorant leur véritable identité, qui se trouvent en plein désarroi lorsqu’ils doivent affronter leur destin, ou des rescapés incapables de se libérer d’un passé qui les poursuit, tentant en vain de se forger une vie nouvelle (Fumée , La Vallée fertile , Givre sur la terre , Le Temps des prodiges , Badenheim 1939 ). Ce sont les mêmes thèmes que traite Yoram Kaniuk (né en 1930) dans Adam ressuscité . De jeunes auteurs, enfants de rescapés ou d’autres, n’ayant vécu la Shoah que dans la mémoire collective de tout un peuple, se mettent eux aussi à parler de l’indicible. Savion Liebrecht (née en 1948) dans ses nouvelles, par exemple, ou surtout David Grossman (né en 1954) dans Voir ci-dessous Amour .

La création de l’État d’Israël fait rapidement exploser les conceptions idéologiques qui prévalaient jusque-là. Les valeurs défendues par le kibboutz ne résistent pas à l’expansion rapide de la nouvelle société. Dès lors, les écrivains tentent de jeter d’autres bases pour une existence individuelle. Le "nous" fait place au "moi", le héros est remplacé par l’antihéros d’une autre réalité. C’est au travers de personnages historiques que Moshé Shamir exprime la déception qu’il éprouve à l’égard d’un État dans lequel la corruption et la décadence sociale ne sont pas absentes (Un roi de chair et de sang , La Brebis du pauvre ).

L’évolution vers une littérature plus individualiste, plus personnelle, est évidente à partir des années cinquante-soixante chez les auteurs de la "guerre d’Indépendance" comme chez leurs cadets, qu’on surnomme "génération de l’État" ou "nouvelle vague". Aharon Megged se tourne d’abord vers une écriture surréaliste (La Fuite ), avant de revenir à des romans ancrés dans la réalité du pays: La Vie brève , Voyage au mois d’Av , Feugelman , par exemple. Moshe Shamir, dans son roman Les Play-boys , jette un regard critique sur ce qu’est devenue sa génération. Les personnages d’Itzhak Orpaz (né en 1923) évoluent dans un univers aux paysages surréalistes imprégnés de symboles. Êtres solitaires, enfermés dans leur incommunicabilité, tels sont les personnages qu’Amalia Kahana-Carmon (née en 1928) dépeint dans un style très personnel (Dans un même panier , Et le soleil sur la vallée d’Ayalon , Là-haut à Montifer , Je l’ai accompagnée chez elle ). Désir de destruction et instinct de mort sont les thèmes développés dans une atmosphère surréaliste par Avraham B. Yehoshua (né en 1936) à ses débuts (La Mort du vieillard , Le Voyage nocturne de Yatir ).

Cependant, un glissement progressif vers la remise en question de la société israélienne caractérisera la littérature des années soixante-dix et quatre-vingt. Yoram Kaniuk caricature le "nouvel Israélien" dans Celui qui descend en haut et dans L’Histoire de la grande tante Shlomtsion . Déjà, Avraham B. Yehoshua en aborde les réalités dans Face aux forêts , puis dans Au début de l’été 1970 , qui traite de la guerre d’usure. Dans son premier roman, L’Amant , par-delà l’histoire d’une famille israélienne à l’époque de la guerre du Kippour, l’auteur évoque les raisons profondes de cette guerre. Dans Divorce tardif et L’Année des cinq saisons , l’idée de l’incompatibilité entre la réalisation de l’idéologie sioniste et les impératifs de la vie est sous-jacente. Son dernier roman, Monsieur Mani , véritable épopée familiale, évoque de façon subtile l’histoire événementielle, idéologique et politique du judaïsme oriental.

La guerre du Kippour déclenche un véritable traumatisme et servira de point de départ à de nombreuses œuvres: Yitzhak Ben-Ner (né en 1937) publie Coucher de soleil à la campagne , Après la pluie , Pays lointain , où il s’agit aussi de la visite du président Sadate en Israël, David Schütz (né en 1941) écrit L’Herbe et le sable . Yaakov Shabtaï (1934-1981) va encore plus loin que d’autres et, dans son roman Pour inventaire , dépeint l’écroulement des valeurs fondamentales du mouvement travailliste. Le Tel-Aviv des années soxante-dix apparaît comme un univers sans spiritualité et sans idéal. Fin de compte , son œuvre posthume, va dans le même sens.

Des auteurs plus jeunes s’en prennent aussi aux mythes. Mordekhaï Shalev (né en 1948), dans Que la terre se souvienne , expose avec ironie l’œuvre des pionniers de la deuxième vague d’immigration. Le rêve sioniste, empreint de romantisme, a été trahi par les pionniers eux-mêmes, et leurs descendants ne peuvent donc pas lui rester fidèles.

Enfin, c’est aux valeurs sacrées sur lesquelles est fondée la société israélienne qu’Amos Oz (né en 1939), Prix Femina étranger 1988, s’attaque, dès ses premiers ouvrages, dévoilant l’envers du décor d’une société qui défend des idéaux dont elle se détourne en fait: Les Pays du chacal , Ailleurs peut-être , Mon Michaël , Jusqu’à la mort , La Colline du mauvais conseil . Il scrute les tréfonds de l’âme humaine et, par une introspection subtile, met en évidence la lutte constante entre la beauté, la logique et la lumière, d’une part, et les instincts cachés, la folie et l’ombre, d’autre part. Dans les années soixante, Amos Oz avait pressenti la crise qu’allait connaître le kibboutz, et dans ses romans ultérieurs il présage la profonde mutation de la société israélienne. La Boîte noire relate le drame intime de personnages issus de communautés et milieux très différents dans l’Israël des années soixante-dix, avant la prise du pouvoir par la droite. La mémoire torturée par la culpabilité d’un agent secret et la quête de la miséricorde sont au cœur du roman Connaître une femme . Dans La Troisième Sphère , qui a pour toile de fond la révolte palestinienne, le héros, homme de gauche, n’arrive pas à modifier la société, où sévissent décadence et dégradation. La troisième sphère, préfiguration des aspirations individuelles, nationales et universelles, est un refuge, un lieu où la réconciliation entre les réalités et l’idéal est possible.

L’interrogation sur le caractère de l’identité nationale se révèle aussi à travers l’affirmation de l’appartenance communautaire. Des écrivains originaires de pays arabes, par exemple, se font davantage connaître. Sur les pas de Mordekhaï Tabib (1910-1979), qui a peint sa communauté yéménite, Amnon Shamosh (né en 1929) célèbre sa communauté d’Alep, dispersée à travers le monde ou immigrée en Israël (Michel Ezra Safra et fils ). Sammy Michaël (né en 1926) s’attache à sa communauté irakienne dans Une poignée de brouillard , mais évoque également la situation des Arabes israéliens (Refuge et Trompette dans l’oued ). Elie Amir (né en 1937), lui aussi originaire d’Irak, consacre son roman Le Coq du pardon , publié en 1983, à la douloureuse intégration des immigrants. Erez Bitton (né en 1942), d’origine marocaine, a le désir d’enrichir de sa poésie la civilisation israélienne grâce à sa propre culture (Offrande marocaine , Le Livre de la menthe ). Des auteurs issus des minorités ethniques font aussi entendre leur voix en hébreu. Anton Shammas (né en 1950), dans Arabesques , trace l’histoire de plusieurs générations de sa famille arabe. Dans son roman Baptême fatal , Naïm Araydi, écrivain druze, insiste sur la confrontation entre les deux univers dans lesquels il vit.

D’autres écrivains se réfugient dans le monde de l’enfance. Ils partent en quête de leurs racines, dans un univers qui à leurs yeux se décompose. Tels Binyamin Tammuz (né en 1919) avec Les Dunes d’or , Nissim Aloni (né en 1926) avec Le Hibou , ou encore Hanoch Bartov (De qui es-tu l’enfant? ), Shulamith Hareven (née en 1931), avec La Ville aux jours nombreux , ou David Shahar (1926-1997), Prix Médicis étranger 1981. Ce dernier, dans son cycle romanesque Le Palais des vases brisés , est à la recherche du temps perdu dans la Jérusalem du mandat britannique et s’interroge sans cesse sur le mystère de la vie et l’existence de Dieu dans un monde de chimères et d’illusions.

Un théâtre vivant

Il s’en est allé par les champs (1945), de Moshé Shamir, peut être considéré comme la première pièce réellement israélienne. C’est l’histoire d’un kibboutznik (membre d’un village communautaire) et de "sa" guerre d’indépendance. Bien que vaillant au combat, il refuse le concept d’héroïsme. Il est dur aussi bien avec sa mère qu’avec la femme, rescapée des massacres européens, qui porte son enfant. Aharon Megged (Hedva et moi ) met lui aussi en scène un kibboutznik sympathique et intelligent à qui la ville ne réussit guère. Nissim Aloni, dans Le plus cruel de tous c’est le roi , développe la thèse selon laquelle tout gouvernement est cruel, quelles que soient ses bonnes intentions. Sous le personnage de Jéroboam, qui osa se révolter contre Salomon et son héritier légitime pour devenir "le plus cruel de tous", apparaît dans tout son tragique la situation de l’État d’Israël à l’époque. Ben-Zion Tomer (né en 1928) est encore hanté par les persécutions (Les Enfants de l’ombre ).

C’est à la fin des années soixante qu’on assiste à une remise en question des traditions enracinées du théâtre israélien. Hanoch Levin (né en 1943), Hillel Mittelpunkt (né en 1949), Yehoshua Sobol (né en 1939) portent à la scène une langue et une diction modernes. Tout en s’interrogeant sur la difficulté d’être, ils n’en négligent pas pour autant les problèmes spécifiques du pays. C’est surtout Hanoch Levin qui se livre à des satires anti-institutionnelles acerbes. Ainsi, après la guerre de Six Jours, il s’attaque à l’autosatisfaction des Israéliens, qui huent sa pièce provocatrice La Reine des bains . Yehoshua Sobol s’interroge aussi sur les valeurs israéliennes en prenant pour toile de fond soit le présent immédiat, soit des époques plus lointaines de l’histoire du peuple juif (La Saint-Sylvestre 72 , La Vieille du vingt , Le Dernier Ouvrier , La Guerre des Juifs ). De nouvelles troupes naissent, qui enrichissent la vie théâtrale et permettent à de jeunes auteurs de se faire connaître, tandis que leurs prédécesseurs continuent à créer.

Une poésie en plein essor

En réaction contre une poésie dont Nathan Alterman est le symbole, Nathan Zach (né en 1930), David Avidan (né en 1934) et Yehouda Amihaï remettent en question les thèmes et les formes chers à la génération des poètes précédents. Ce ne sont plus les idéaux nationaux mais la condition même de l’homme et ses difficultés d’être qui fournissent leur inspiration. Refusant la rhétorique et les métaphores trop élaborées, ils s’attachent aux images simples puisées dans la vie quotidienne, à un hébreu parlé, parfois vulgaire, qui fait fi du mètre et des rimes. Avot Yeshurun (1904-1991), qui par son âge appartient à la génération précédente, acquiert sa notoriété surtout dans les années soixante-dix. Sa poésie est plus proche par certains côtés de celle de ses cadets, et sa contestation politique, inacceptable à une certaine époque, finit par entrer dans les mœurs.

Tout en participant à la création d’une poésie nouvelle, des poètes tels Abba Kovner, Dan Pagis, I. Yaoz-Kest, Yakov Besser puisent leurs thèmes dans leur propre expérience de rescapés de la Shoah. Dans leur mode d’expression essentiellement allusif, le concret cède la place au mythique, et le réalisme au symbole. Mais la Shoah est ancrée dans la littérature hebraïque au-delà des témoignages des rescapés, puisque leurs enfants, qui n’ont vécu l’horreur qu’au travers des souvenirs de leurs parents ou amis, prennent la relève, en s’appropriant en quelque sorte leur souffrance, qu’ils expriment dans leurs poèmes.

Ceux qui continuent dans la voie de Shlonsky ou d’Alterman, tels Amir Gilboa, Nathan Yonathan, Dalia Ravikovitch, Tuvia Rivner, Ozer Rabin, créent de nouvelles formes poétiques. Leurs successeurs Yona Wollach, Yaïr Hurvitz (décédés respectivement en 1985 et 1988), Meïr Wieseltir et d’autres plus jeunes font preuve d’un lyrisme qui le dispute souvent à l’insolite, mais où la sensibilité est toujours à fleur de peau.

En quête d’un bilan

La littérature israélienne est aujourd’hui un creuset où des écrivains de plusieurs générations créent et publient. Ceux de la guerre d’Indépendance, ceux de la génération de l’État continuent à écrire, connaissant un nouvel essor et cohabitant avec de nouveaux talents qui ont déjà fait leurs preuves. Romans et nouvelles revêtent des caractères originaux où le réalisme côtoie le surréalisme, l’impressionnisme le symbolisme. On y trouve une grande variété de styles, une recherche de formes et un effort de rénovation linguistique qui est d’autant plus important que la renaissance de la langue hébraïque a vu le jour il y a tout juste cent ans. Les sujets abordés sont ancrés dans la civilisation et la culture israéliennes et juives. Les événements socio-politiques qui jalonnent l’histoire marquent profondément la littérature israélienne. Cependant, elle dépasse largement son cadre géographique et historique, même s’il paraît très spécifique, car les thèmes et les personnages qu’elle met en scène, les problèmes et les interrogations qu’elle pose atteignent une dimension universelle.

- Extrait de l'Encyclopédie Universalis