PRÉSENTATION DU DEUXIÈME TOME DE " KI MITSION " DE LÉON ASKÉNAZI

 

"Ki Mitsion Tetsé Thora ou Devar Hashem Mi Yeroushalayim"

"Car de Sion sortira la Thora et la parole de D. , de Jérusalem" 

Monique Schônberg nous présente le deuxième tome de l'ouvrage "Ki Mitsion" du Maître Rav Léon Askenazi - Manitou - 'Zal.)

La 2ème partie de ce célèbre verset du chapître 2, verset 3, du livre d'Isaïe a servi d'emblème à une feuille dûment rédigée chaque semaine au Centre Yaïr qu'avait créé le Rav Askenazi à Jérusalem et où venaient s'abreuver ceux qui voulaient entendre la parole du Maître.

"Ki Mitsion" : Manitou y écrivait semaine après semaine explicitant la parasha de chaque shabbath. Quand il quitta, malheureusement pour sa famille, ses amis, ses élèves, ce monde-ci, restèrent ces feuilles éparses qui avaient éclairé ses lecteurs fidèles.

La Fondation Manitou a pour tâche de diffuser son enseignement et de permettre à ceux qui n'ont pas eu la chance de l'entendre, d'y goûter un tant soit peu, bien que rien ne puisse remplacer le contact direct, vivant, toujours dynamique qu'est l'oralité, "Shimoush Harav".

Parut en 1997 un premier tome de "Ki Mitsion" qui rassemblait ces réflexions sur les différentes péricopes qui jalonnent les semaines du calendrier hébraique. Ce premier tome se clôturait par des notes bibliographiques très précieuses, sur la vie des commentateurs cités, les restituant dans leur contexte historique, élément échappant trop souvent au lecteur qui se laisse bercer par l'éxégèse, hors d'un temps précis, qui transcende ce dernier mais qu'il est souvent utile de connaître pour mieux cerner le message transmis.

Ki Mitsion II

Vient de paraître un deuxième tome de "Ki Mitsion" consacré cette fois, aux fêtes, temps de sainteté qui scandent à la fois le calendrier et plus précisément l'histoire du peuple d'Israël dans ses efforts éperdus et constants pour tenter de réaliser envers et contre tout le projet initial du Créateur de l'univers.

Cet ouvrage est préfacé par le frère de l'auteur lui même, "Le Havedil ben Khaïm le Khaïm", Daniel Askenazi. Cette introduction nous développe quelques points fondamentaux de la méthode éxégétique de Manitou : le souci permanent de reformuler l'enseignement de la Thora dans le langage de la modernité de telle sorte que chaque juif sache que cette dernière s'addresse bien à lui, à l'image de Maïmonide qui avait utilisé la langue aristotélicienne car ses contemporains étaient sensibles à l'univers philosophique d'alors, largement teinté de concepts de la culture grecque passée au tamis des philosophes arabes du Moyen Age. Rabbi Yehouda Halévi sut reformuler le message divin à travers les catégories de l'histoire, et le Rav Abraham Itzkhak Kook utilisa des concepts empruntés à la sociologie.

Manitou excellait dans l'art du langage, avec une rigueur et une précision extrême, mais s'y mêlait une telle poésie, une telle musique qui transportait le lecteur. En effet, je renvoie les futurs lecteurs à des chapitres annexes qui suivent son étude sur les fêtes.

La traduction d'une "Bakasha de Rabbi Yehouda Halévi" poème liturgique; cette traduction se transforme en commentaire d'une poésie infinie.

Puis suit une traduction du chapitre IV du livre célèbre du Rav Isaac Kook : "Orot Hateshouva", les lumières du retour. A la langue merveilleuse du Rav Kook, véritable symphonie, se rajoute la traduction du Rav Askenazi, ornement supplémentaire à la mélodie première.

Comme le texte en hébreu est également présent, il est aisé pour tout lecteur, d'apprécier les talents du traducteur à sa juste valeur.

Ce même type d'exercice nous amène à bénéficier d'un enseignement du Rav Hutner de New York, sur le thème du shabbath. Après une brillante traduction, Manitou nous offre un commentaire fulgurant, insoupçonné, à première lecture, un des autres aspects de son génie : transformer un texte, un commentaire, une phrase apparemment anodine en un enseignement d'une richesse extrême, perle après perle livrées à l'auditeur ou au lecteur qui se sent brusquement transporté dans des mondes qui lui permettent de transcender la banale quotidienneté.

Le sens de la Création

Mais revenons à notre introduction :

Daniel Eskenazi mettra l'accent sur le terme "Hébreu" qui revient si souvent dans la langue de Manitou. L'Hébreu : celui qui a pour vocation d'effectuer "le passage d'une époque à une autre, d'un contenu culturel à un autre". L'Hébreu est celui qui est sur une rive et le reste de l'humanité sur l'autre. Tel fut défini Abraham, 1er Hébreu de l'histoire, le 1er à avoir compris, ce que représente D., non une monolâtrie, mais un démiurge; un 1er horloger, mais un D. créateur, donc détenteur d'un projet, objet d'espérance pour Israël, qui aura foi en ses promesses qui rendent possible la réalisation de ce projet. C'est ceci la foi d'Abraham transmise à sa descendance.

Le souci permanent de Manitou sera de montrer le sens de la création, le statut de la créature en constant effort pour acquérir le mérite d'être grâce à sa soumission à la loi divine. La loi divine, même si au niveau cosmique elle engendre le monstre impersonnel qu'est le déterminisme des lois de la nature pour offrir à l'homme une stabilité dans laquelle il puisse exprimer sa liberté, elle offre, d'autre part à l'humain, sa constante providence protectrice mais en quête de moralité, garantie de la survie possible du monde. Car "créer", c'est faire place à l'autre, "c'est permettre à autrui d'exister dans sa dignité propre" : ceci est vrai à l'échelle cosmique et humaine.

Autre point important de méthodologie : l'usage du midrash : "il nous permet, à chaque époque, de restituer une dimension d'insertion de ce que la Bible dit, dans notre existence et notre histoire", nous explique Daniel Askenazi. Il ajoute au nom de Manitou, que le "Drash fait le lien entre le pshat, sens littéral du texte, et le sod, sens ésotérique". Souvent Manitou nous faisait comprendre, dans son humour habituel, que les lettres du mot Se Pha Ra De (1) était le vrai ordre de la compréhension d'un texte :

S comme sod : le secret ou explication ésotérique

P comme pshat : explication littérale du texte

R comme remez : explication allusive du texte

D comme drash ou midrash : explication allégorique, métaphorique.

En effet, c'est en allant jusqu'au sens ésotérique qu'on comprenait réellement toutes les nuances et souvent la logique qui sous-entend la littéralité du texte.

Une expérience vivante

Le frère de notre auteur nous montre comment Manitou illustre l'exactitude de l'adage de nos sages "Maasé Avoth, siman labanim" : les péripéties de la vie nous permettent de décrypter notre histoire car leurs expériences individuelles seront les nôtres à l'échelle collective, à travers siècles et millénaires, jusqu'aux temps messianiques....

Ce qui va frapper le lecteur de ce livre, c'est non seulement l'éclaircissement quant à la compréhension de chaque fête, mais le lien qui les unit, la cohérence profonde qui existe dans l'univers au niveau du temps et de l'espace, que Rosh Hashana, qui rappelle la création de l'homme, qui sous-entend celle de l'univers, appelle Pessah, création, ou naissance du peuple d'Israël en tant que nation, qui donne sens au projet visé en Tishri, mois de Rosh Hashana.

Mais Pessah n'est qu'une étape, celle qui aboutit à la vraie Gueoula, salut, car l'homme, à Shavouoth, au moment du don de la Thora, a pu échapper à toutes les formes d'asservissement, déjà longuement exposées, lors des différentes études sur Pessah, sur la nature des quatre enfants dont parle la Haggada, le soir du Seder. Quand notre maître en parle, il essaie de voir jusque dans notre contemporainéité comment définir ces quatre types d'individus qui apparaissent dans le peuple, toutes époques confondues. Alliant une culture générale si multidisciplinaire et un pouvoir de recodage des registres culturels hors du commun, il nous fera ressentir dans sa compréhension de Hanouka, le problème profond que fut la confrontation avec le monde grec, mais cette problématique est loin d'être terminée, nous dit-il, à travers son analyse de la place du juif dans l'occident, selon un enseignement qu'il rapporte au nom du Rav Hutner, cité plus haut. Israël aurait à apporter au monde non seulement des sciences, techniques et sociales, ce qui est le propre de la civilisation occidentale et son génie propre, mais faire coïncider ce monde des sciences avec la moralité vraie, car pour le moment il y a une dichotomie profonde entre les deux. Il y a science d'un côté, morale de l'autre, politique d'un côté, morale de l'autre, il en est de même de la technique, de l'art etc...

Israël doit aboutir et apporter au monde une ère où la morale sera profondément imbriquée dans toute science, dans le monde de la nature, du déterminisme, car ce détermibisme est régi par un Quelq'un qui le transcende et le gouverne.

Le vav conversif

A travers d'autres thèmes comme le 9 Av, le 17 Tamouz... Le Rav Askenazi nous montrera que l'alliance entre D. et son peuple, indéfectible, prend en compte la peccabilité de l'homme. L'univers hébraïque n'est pas tragique, sans issue, à la moindre faute, mais uniquement dramatique. Tout peut être réparé et c'est le propre de notre monde, "Olam Hatikoun"usqu'à la "réparation" ultime. Le lecteur trouvera, pour illustrer ce thème-là une étude de la raison réelle de l'emploi du vav conversif.

De quoi s'agit-il ? Dans l'hébreu biblique existe la loi de syntaxe suivante : la lettre vav placée devant la première lettre d'un verbe conjugué initialement au futur, se traduira par un passé. Et ce même vav devant un verbe au passé devra être compris comme s'il était au futur.

Mais cette loi syntaxique n'est nullement fortuite. "Ceci montre que les Hébreux ont accepté la loi morale comme critère du salut religieux : quelque soit la faute, le salut est possible parce que le repentir est efficace. L'idée que la loi condamne au lieu de sauver procède de la mentalité gréco-romaine pour qui la loi est impersonnelle et le passé irrémédiablement révolu".

Or pour l'Hébreu "l'instant de la Techouva (=retour), le futur du temps de chacun, implacablement déterminé (par son passé), change à la mesure de l'effectivité du repentir". Il y a alors revirginisation de la conscience... A travers le regard de notre maître sur la signification de chaque temps fort de notre calendrier, il va analyser subtilement le personnage de Moïse, la nature du Erev rav, cette multitude, non hébraïque à l'origine, qui a suivi Israël dans son cheminement de désaliénation du système égyptien et nous montrer le souci constant de la thora de lutter contre toute divinisation de la médiation, qui est de l'ordre du paganisme et qu'il peut exister une version moderne des mêmes symptômes d'aveuglement devant les signes de la providence qui permettent de déceler la fin de l'exil et le temps du retour. Savoir que la providence n'est jamais absente de l'histoire des hommes et encore moins de celle d'Israël, quelque soit le visage qu'empruntent les évènements. Pour qui sait étudier la Thora et les textes adéquats lue de façon vraie, certains signes ne trompent pas. Les quatre cinquièmes du peuple (2) ont été perdus en Egypte car ils n'ont pas su ou voulu voir les appels de la providence. Que nous ne perdions pas, à la fin du dernier exil, les quatre cinquièmes, Khas Veshalom, du peuple, par aveuglement ou incompréhension ! Que les dégats du Erev Rav, intérieurs ou extérieurs ne se renouvellent pas. Il avait amené à l'errance des Hébreux, quarante ans dans le désert.

Qu'il n'amène pas à la négation identitaire de soi-même à l'intérieur de la nation d'Israël :...

Bonne lecture !...

Monique Schönberg

Vous trouverez ces ouvrages, soit dans les librairies juives, soit en vous adressant à la Fondation Manitou, BP 34089 - Jérusalem 91340

Notes :

1) Sépharad: terme désignant les Judéens exilés après la destruction du 2ème temple, qui allèrent surtout s'installer en Espagne, et dans tout le bassin méditerranéen.

Espagne se dit en hébreu : sépharad.

Le terme "Pardès" qui veut dire "verger" fait allusion au verger de la connaissance, et aux quatre lectures possibles dans toute approche exégétique. Le mot "sépharad" est formé en hébreu des mêmes consonnes dans un ordre légèrement différent. Le sod précèderait le pshat au lieu d'en être la dimension ultime. De toute façon ces deux lectures sont complémentaires et leur véracité simultanée.

2) Allusion au commentaire de Rashi sur le verset 18 du ch.13 de l'exode expliquant le terme "khamoushim" à la lueur du Midrash (Mekhilta) qui fait le lien avec le chiffre khamesh =5.

Ce midrash nous explique que quatre cinquièmes des Hébreux moururent pendant la plaie de l'obscurité infligée aux Egyptiens.

d'après LE LIEN.