...MOSAÏQUE JUIVE Ce nest pas notre propos, dans ces quelques lignes, de présenter davantage que quelques aspect saillants de la riche et complexe histoire de la musique juive. Nous espérons simplement réveiller la curiosité du lecteur, et linciter à écouter cette musique : car le mot de Wilhem Busch est ici tout à fait pertinent, "autant il est doux de lentendre, autant il est ennuyeux den entendre parler.. " ! Larbre généalogique de la musique juive puise sa sève dans la musique liturgique. De là, partent des rameaux qui portent des fruits aux saveurs multiples, musiques folkloriques aux sonorités slaves, orientales ou mauresques ; et une couronne de feuillage de musique dart occidentale. Donc, au commencement était la Bible On a recensé plusieures dizaines de références au chant ou à des instruments musicaux dans le Pentateuque ; mais déjà au chapitre 4 de la Genèse, la paternité de lart musical est attribuée : " Jubal, lancêtre de tous ceux qui jouent le kinnor et lugav ". Le kinnor cest la lyre, instrument de prédilection du roi David, vénéré non pas comme guerrier ou conquérant mais comme " le doux psalmiste dIsraël " (Sam.23-1). Lugav est un genre de pipeau, ancêtre lointain de la flûte et de la clarinette. Cependant, cest le chant plutôt que la musique instrumentale qui est le fonds principal de la vie musicale liturgique du peuple juif ; et cest par le chant autant que par le Livre que ce peuple, déporté, expulsé tantôt dun pays tantôt dun autre, a su maintenir un sentiment dappartenance et dunité au travers de ses nombreux exils. Du temps du 2ème Temple de Jérusalem, celui qui fut reconstruit par les Hébreux au retour de leur déportation à Babylone, le culte était accompagné dune musique sacrée conçue comme un acte artistique, impressionnante par son faste : on parle de vingt-quatre groupe de douze chanteurs, accompagnés par une quinzaine dinstruments, des cordes, des vents et des cymbales. Mais le Temple fut détruit (70 ap. J.-C), le pays conquis par les Romains, et une nouvelle ère commence pour les juifs, pour ceux qui restent comme pour ceux qui sont déportés par les Romains ou qui trouvent refuge ailleurs. Il sopère une mutation fondamentale dans le culte religieux : les communautés juives se rassemblent à présent dans les synagogues, lieux où on ne pratique plus un service sacrificiel comme au Temple, mais où lon se réunit pour la prière et la méditation consacrée à la Parole, aux textes de la Bible. En signe de deuil pour la perte de leur patrie et du Temple, la musique instrumentale fut bannie du culte et en reste généralement absente encore aujourdhui, sauf pour le " shofar ", corne de bélier dont le son rauque retentit au service du Nouvel An et du Jour du Pardon. La récitation des Psaumes se fait en... psalmodiant ; et la lecture à haute voix des versets de la Bible est accompagnée par une intonation vocale, la cantillation. Ces intonations, transmises par tradition orale jusquau 10ème siècle, furent alors codifiées et acceptées par lensemble du monde juif. Il est intéressant de noter que la psalmodie des Psaumes se perpétua dans le chant byzantin primitif et se retrouve dans le chant grégorien ; ce fut donc un important héritage musical que le judaïsme a légué au monde chrétien. Ainsi, quil sagisse de la prière, de la lecture des textes ou des Psaumes, cest au son des voix des fidèles que se déroule la liturgie à la synagogue. Une innovation musicale importante est attestée en Palestine dès le 6ème siècle : cest le rôle du chantre, le " hazan ". Celui-ci avait la tâche, en sinspirant des écritures saintes, de composer des hymnes mis en musique, et de les chanter pendant le service religieux, en soliste. Le chantre devint une partie intégrante du service dans les synagogues du monde entier. On admire encore de nos jours ces chanteurs de niveau professionnel, même virtuose, dont la prestation, richement ornée de mélismes luxuriants de type oriental, transmet une rare puissance dévocation dramatique et démotion. Quant à la musique instrumentale, elle faisait bel et bien partie de la vie juive lors de la célébration des fêtes religieuses mineures ainsi que de festivités familiales : naissances, circoncisions, ou mariages. Une image qui vient à lesprit est celle du pauvre violoneux dun village ukrainien ou polonais, maintes fois représenté par Chagall ! A croire, dailleurs, que le violon est linstrument de prédilection du musicien juif, tant Milstein, Menuhin, Oistrakh et " les autres " ont marqué la musique violonistique de notre temps. Y a-t-il une explication psychologique à ce phénomène, autre que la réponse acidulée de la blague juive : " Vous avez déjà vu quelquun fuir un pogrom avec son piano sous le bras ! " ? En Europe, au Moyen Age, des groupes de ménestrels juifs, danseurs et jongleurs, parcouraient les pays et se produisaient dans les villages et les marchés, comme leurs confrères provençaux. Des orchestres de musiciens juifs ont pu trouver un terrain propice pour leur art au Maroc, en Perse, en Turquie, par exemple, partout où une interprétation stricte de la règle islamique imposa des restrictions à lactivité dinstrumentistes musulmans. Au milieu du 18ème siècle, en réaction aux pogroms répétés et à la vie misérable que les juifs menaient en Europe de lEst, nacquit le mouvement mystique connu sous le nom de Hassidisme. Ces mystiques étaient persuadés que lon ne peut ressentir la présence Divine en disséquant les textes, mais quil fallait approcher Dieu par la joie, par ladoration de Sa création, en chantant mélopées sans paroles par lesquelles ils atteignaient lEsprit Saint, qui devaient beaucoup aux danses et chants populaires de la région. Les chants de lest de lEurope en yiddish sont inspirés du folklore roumain, polonais, et ukrainien, avec des tonalités qui rappellent une lointaine parenté avec lOrient. Ils connaissent aujourdhui une grande vogue dans la musique dite " Klezmer ", chantée et jouée au violon, à la clarinette, avec accordéon, contrebasse et parfois aussi dautres instruments. Où quils aient vécu, les juifs ont, certes, subi linfluence de la culture environnante ; mais ils en ont également préservé certains traits, alors que ceux-ci disparaissaient du répertoire dorigine. Par exemple, le riche héritage des chants populaires espagnols du 15ème siècle a été conservé par les juifs lorsquils furent chassés dEspagne ; ce répertoire existe encore dans la langue castillane de l'époque, appelé judéo-espagnol sur le sol des pays peri-méditerranéens où ils trouvèrent refuge. Si la diversité de cultures constitue une richesse, alors le peuple israélien est un peuple comblé ! Car tout cette mosaïque de traditions se retrouve de nos jours en Israël : tradition de lEurope de lEst, tradition orientale, musique du Maghreb et des pays islamiques du Proche Orient sans compter la musique dart de type occidental. Dailleurs qui a entendu lhymne national " Hatikva ", ne peut sempêcher de remarquer sa ressemblance avec une mélodie de " La Moldau " de Smetana ; et la ronde que lon danse lors des fêtes populaires reproduit les pas et le rythme de la " Hora " roumaine. La musique dart des compositeurs dorigine juive Mahler, Mendelssohn, Milhaud et tant dautres est trop bien connue pour quon en parle ici. Dailleurs, ces musiciens ne se sont pas forcément inspirés de lhéritage judaïque, à part quelques exceptions ; et, dun autre côté, des musiciens non-juifs tels que Shostakovitch ou Ravel ont composé des uvres basées sur des thèmes hébreux ou juifs. Les compositeurs sur lesquels nous voudrions attirer lattention, par contre, sont ceux qui ont péri dans les camps nazis, Gideon Klein, Hans Krasa, Pavel Haas, Viktor Ullmann et Erwin Schulhof parmi dautres. Leurs compositions commencent à être connues et appréciées par le public mélomane, et nous tenons à leur rendre ici un hommage. Dina Levias |