"L'autre jour,
j'étais dans le métro et j'entends deux dames dire
: "Encore ces juifs avec leurs histoires de l'O.N.U. Quels
emmerdeurs !" C'est vrai.
Nous sommes des emmerdeurs. Ça fait des siècles
qu'on emmerde le monde.
C'est notre nature que voulez vous. "Abraham avec son dieu
unique, Moïse avec ses tables de la loi, Jésus avec
son autre joue prête a la deuxième baffe. Puis Freud,
Marx et Einstein, tous ont été des gêneurs,
des révolutionnaires, des ennemis de l'Ordre."
Pourquoi ?
Parce que l'ordre, quel que fut le siècle, ne pouvait les
satisfaire, puisque c'était un ordre dont ils étaient
toujours exclus. "Remettre en question, voir plus loin, changer
le monde pour changer le destin", tel fut le destin de mes
ancêtres. C'est pourquoi il sont haï spar les défenseurs
de tous les ordres établis. L'antisémite de droite
reproche aux juifs d'avoir fait la révolution bolchevique.
C'est vrai. Il y en avait beaucoup en 1917.
L'antisémite de gauche reproche aux juifs d'être
les propriétaires de Manhattan, les géants du capitalisme.
C'est vrai, il y a beaucoup de
capitalistes juifs.
Mon problème est que depuis les déportations romaines
du 1er siècle après Jésus-Christ, nous avons
été partout honnis, bannis, écrasés,
spoliés, chassés, traqués, c'est a dire convertis
de force.
Pourquoi ?
Parce que notre religion, notre culture étaient dangereuses.
Eh oui ! Quelques exemples :
- Le judaïsme a été le premier a créer
le Shabbath, jour du seigneur, c'est a dire, le repose hebdomadaire
obligatoire. Vous imaginez la joie des pharaons, toujours en retard
d'une pyramide ?
- Le judaïsme interdit l'esclavage. Vous imaginez la sympathie
des romains ! Il est dit dans la bible : la terre n'appartient
pas a l'homme, mais a Dieu. Decette phrase découle une
loi : celle de la remise en question systématique de la
propriété tous les 49ans. Vous voyez l'effet d'une
loi pareille sur les papes du Moyen-Âge et les bâtisseurs
de l'empire de la renaissance ! Il ne fallait pas que les peuples
le sachent.
Voilà pourquoi les ghettos, l'index, l'inquisition, les
bûchers, et plus tard les étoiles jaunes. Auschwistz
n'est qu'un exemple industriel de génocide, mais il y a
eu desgénocides artisanaux par milliers. J'en aurais pour
trois jours rien qu'a nommer tous les pogroms d'Espagne, de Russie,
de Pologne et d'Afrique du Nord.
A force de fuir, de bouger le juif est allé partout. On
extrapole, et voilà : il n'est de nulle part. Nous sommes
parmi les peuples comme l'enfant a l'assistance publique. Je ne
veux pas être adopté. Je ne veux plus que ma vie
dépende de l'humeur de mes propriétaires. Je ne
veux plus être citoyen-locataire. J'en ai assez de frapper
aux portes de l'histoire et d'attendre qu'on me dise "entrez."
Je rentre et je gueule !
Je suis chez moi sur terre, j'ai ma terre : " Elle m'a été
promise, elle sera maintenant due." " Qu'est ce que
le sionisme ? " Ça se réduit a une simple phrase
: "L'an prochain a Jérusalem."Non, ce n'est pas
un slogan du Club Méditerranée. C'est écrit
dans la bible (le livre le plus vendu et le plus mal lu du monde),
et cette prière est devenue un cri, un cri de plus de 2
000 ans,et le père de Christophe Colomb, celui de Kafka,
celui de Proust, de Chagall, de Marx, d'Einstein et même
de Kissinger, l'ont répétée cette phrase,
au moins une fois par an, le jour de Paques.
Le sionisme, c'est le nom d'un d'un combat de libération.
« Nous, nous sommes les juifs de TOUS. A ceux qui me disent
: « Et les palestiniens ? je réponds : "Je suis
un palestinien d'il y a 2 000 ans. Je suis l'opprimé les
plus vieux du monde". Je discuterai avec eux mais je ne leur
céderais pas ma place. Il y a la-bas de la place pour deux
peuples et pour deux nations. Les frontières sont a déterminer
ensemble. Mais l'existence d'un pays ne peut en aucun cas exclure
l'existence de l'autre. Les options politiques d'un gouvernement,
les erreurs commises par certains de ses dirigeants n'ont jamais
remis en question l'existence d'une nation. Alors pourquoi Israël
?
Quand Israël sera hors de danger, je choisirai parmi les
juifs et mes voisins arabes, ceux qui me sont frères par
les idées. Aujourd'hui, je me dois d'être solidaire
avec tous les miens, même ceux que je déteste, au
nom de cet ennemi insurmontable : le racisme.Descartes avait tord
: je pense donc je suis, ça ne veut rien dire. Nous, ça
fait 5 000 ans qu'on pense, et nous n'existons toujours pas. "Je
me défends, donc je suis. Enfin"
Herbert Pagani
Novembre 1975...