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La parole destructrice
Monique Schönberg poursuit son étude
sur la capacité destructrice de la parole
Le Zohar, commentaire ésotérique,
va profondément analyser ce problème à partir
de l'épisode du serpent qui entraînera dans son
sillon le monde entier ; il symbolise le mal par excellence qui
engendre dans les sphères spirituelles l'éveil
de l'attribut de rigueur pure. Le SATAN, ange qui a pour fonction
d'être l'accusateur public du tribunal divin, prend la
parole et alimente toutes les possibilités de mise à
l'épreuve du genre humain.
Ce même serpent a provoqué l'exclusion d'Adam et
d'Eve du jardin d'Eden. A l'image de cela les explorateurs, en
critiquant de façon mensongère la terre d'Israël,
ont empêché une génération entière
de s'y installer.
La destruction des Temples relève des mêmes fautes,
car le Temple, lieu de résidence possible de la présence
divine, ne peut l'abriter que si la parole, dans notre univers,
est une parole constructive, d'amour. Le premier Temple a été
détruit par les trois fautes fondamentales qui annulent
toute possibilité d'existence du monde : l'idolâtrie,
le meurtre, la débauche (les unions interdites). Le deuxième
Temple a été détruit par la haine gratuite.
Le troisième Temple ne pourra être construit que
grâce à l'amour gratuit.
Pire que les trois !
Le Maharal de Prague et d'autres
exégètes vont plus loin jusqu'à dire que
le " Lashon Hara " est encore plus grave que
l'idolâtrie, le meurtre et la débauche, mais plutôt
les englobe, et D. ne pardonne pas cette faute là, qu'on
devra expier dans la géhenne, car il n'y a pas de place
dans le monde futur pour ce type de pêcheur.
En effet, explique le Maharal, l'Homme est formé de trois
parties : le SECHEL : son intelligence, le GOUF
: son corps, le NEFESH : l'âme incarnée dans
le corps (l'animal possède aussi un nephesh, mais
pas une neshama) (8).
L'idolâtrie atteint la pensée, la fonction cognitive,
le meurtre " le nefesh ", mettant ainsi fin
à la vie de l'individu. La débauche porte atteinte
principalement au corps. Or nous dit notre auteur, le langage,
expression de la pensée, porte atteinte à la spécifité
propre de l'individu, qu'est d'être une " âme
parlante ", utilisant sa langue, organe appartenant au corps.
Ce dernier s'exprime par une parole qui est celle-même
résultante de la pensée liée à l'intelligence.
Donc la parole synthétise ces trois attributs humains.
Ainsi une faute au niveau de la parole est aussi grave que ces
trois fautes réunies qui ont permis la destruction du
premier Temple, qu'aurait déjà dû construire
le premier roi, Saül, s'il n'avait pas écouté
les propos médisants de Doëg, venu lui dévoiler
la cachette de David (9) . Ceci l'a amené au meurtre de
toute la ville du prêtre qu'était Nov. Là
encore, la parole entraîna la mort (10) .
Le Maharal va encore plus loin et nous dit que la parole médisante
est l'équivalente de la non reconnaissance de l'existence
du Créateur. Car D. incarne le lieu par excellence et
ne peut coexister avec l'expression du Mal absolu qu'expriment
médisance et calomnie.
Le Maharal, de façon amusante, va nous expliquer l'anatomie
de la langue, voulue par D., pour limiter les dégâts.
La langue est dans la bouche, organe horizontal et non vertical,
protégée par les dents puis les lèvres,
pour limiter son action destructive. Il cite entre autre un épisode
de la vie de David, qui a écouté le serviteur de
Saül, déjà mort, lui parler de Mephiboshet,
fils de Yonathan. La Gemarah (11) nous affirme que l'audition
de ces paroles médisantes engendra le schisme, après
le règne du roi Salomon, et l'apparition du royaume d'Israël
créé par Jéréboam, miné par
l'idolâtrie, entraînant ainsi sa destruction par
l'invasion assyrienne et finalement l'exil de sa population.
Nuances
Il existe plusieurs sortes de
'Lashon Hara " : ce qui se dit en tout petit cercle
et en secret, et ce qui se dit en public, ce qui est exact et
ce qui ne l'est pas. Chaque situation a ses avantages et ses
inconvénients :
a) parler en secret implique que la nouvelle ne se propage pas,
mais la victime, non présente, ne peut se défendre.
b) Parler en public génère le colportage qui finit
par parvenir aux oreilles de la personne visée, mais celle-ci
au moins, pourra se défendre.
Le Maharal (12) nous explique également pourquoi, dans
le traité Zévakhim du Talmud (p.88 folio
B), se trouvent associés le passage qui parle de sacrifices
expiatoires et des vêtements du Grand-prêtre. Quel
rapport ? Nous apprendre la fonction, elle aussi, expiatrice
de ces derniers.
Le manteau, bordé de clochettes, qui font du bruit, tel
le " caquetage " du colportage, fait en public. Par
contre l'encens, qui accompagne le culte sacrificiel, rédimera
la médisance faite en grand secret par voie allusive,
ce que l'hébreu appelle " Avaq lashon hara
" : la poussière de médisance : les
paroles ne sont pas clairement de la médisance, mais la
sous-entendent. D avait également fait des vêtements
au premier couple, à la suite de leur faute.
Le vêtement voile et dévoile, il peut trahir, il
peut couvrir une nudité, une honte, d'où des termes
différents en hébreu pour désigner un vêtement
:
· Levoush : qui cache un sentiment de honte.
· Begued : mot apparenté à une racine
verbale qui veut dire trahir : livegod.
· Me'il : quelque chose qui se met " dessus
" manteau (Me'al : de dessus : vocalisé différemment).
Autres enseignements
Rabéïnou Yona donne
une autre métaphore, comparant ce fléau à
une flèche. Il explique, en fait, que ce moyen de porter
atteinte à autrui, est pire qu'attaquer son ennemi par
l'épée. En effet si l'on se trouve nez à
nez avec son ennemi, il peut se laisser attendrir et ne pas dégainer
son épée pour tuer. Par contre celui qui lance
une flèche, n'en mesure pas toujours la portée
et ne peut être poussé à la miséricorde,
renonçant alors à son acte..
Ainsi en est-il de la médisance : parfois non seulement
un être visé sera atteint mais des générations
entières d'une même famille, chose impardonnable.
En effet, Maïmonide, dans son étude liée au
processus du serpent (13), mentionne que demander pardon n'entraîne
pas forcément son obtention immédiate, mais celle-ci,
souvent, est accompagnée d'épreuves, en fonction
de la gravité de la faute commise.. Notre cas rentre dans
cette catégorie.
Maïmonide aussi insiste sur le fait que trois personnes
sont atteintes par la parole meurtrière : la personne
qui médit ou calomnie, sa victime salie et celui qui a
écouté de tels propos au lieu de s'en éloigner,
car le regard que l'on porte sur quelqu'un ne sera plus le même
après l'avoir critiqué.
Nous parlions plus haut de cette maladie qui touchait l'individu
coupable, tsar'at, analysée dans deux péricopes
du Lévitique. Elle atteint bizarrement d'abord l'habitat,
puis ses vêtemnts, puis sa peau jusqu'à sa mise
en quarantaine sous la direction du prêtre qui restera
en relation avec le " malade ". Sa langue a provoqué
la dissension à l'intérieur du tissu social. Il
faut donc l'exclure provisoirement, car il est source de maux
pour autrui.
Un autre terme de même famille linguistique est utilisée
metsora, pour indiquer la même symptomatologie.
Nos sages ont à nouveau coupé le mot en deux en
vêtissant les consonnes de voyelles différentes
: motsi ra : qui fait sortir le mal. L'apparition extérieure
des signes de tsar'at est l'expression même du mal
qui touche l'âme. La maison, le vêtement, manifestation
de l'être de culture qui fonde une société
sont atteints eux aussi, car le pécheur n'est pas seul
à être entaché par la faute. Cette dernière
a endommagé, à des degrés divers et variés,
le tissu social, comme nous le disions plus haut.
Nous pourrions citer des exemples à l'infini de cette
gangrène qui ronge nos sociétés. Les médias
sont les véhicules même de tels propos et notre
peuple, pour ne pas le nommer, est un exemple patent de cette
dégradation lente.
Chaque jour, en ouvrant la radio, on se demande quel nouveau
scandale va éclabousser notre société et,
en Israël, faire tomber les hommes politiques les uns après
les autres, eux-mêmes, se donnant en pâture aux médias
et alimentent toutes les haines possibles et les conflits intérieurs
de la société israélienne. Dans nos communautés
apportant toutes les armes possibles à nos pires ennemis,
provoquant l'exil et retardant la guéoulah , les temps
messianiques, qui sonneront enfin le glas de ce venin destructeur
qu'est toute parole dévastatrice.
Espérons, que bientôt viendra l'avènement
de la parole vraie, celle qui forge la puissance d'Israël,
à travers la Thora, seul remède nous disent nos
sages, pour remédier à un tel disfonctionnement
du monde. Un temps où chaque chose aura trouvé
sa vraie place dans la symphonie des créatures qui peuplent
notre univers, où la présence divine trouvera aussi
sa place car l'homme lui aura enfin rendu celle qui doit lui
être attribuée à priori, reliant ainsi le
monde d'en haut et le monde d'en bas dans une harmonie réciproque
où volonté du Créateur et de la créature
coïncideront.
Les six mille ans d'histoire ne sont faits que pour réparer
cette première souillure du serpent et résoudre
le problème de la fraternité qui a alimenté,
au fil des millénaires, mensonge, meurtre, idolâtrie
de tous genres, les plus élaborées et débauche,
même justifiée actuellement au nom de la liberté
individuelle et des exigences de la démocratie, toutes
choses qui ne peuvent que faire fuir la Shekhina au lieu
de l'inviter à venir nous protéger de sa présence.
Monique Schönberg
Professeur de Judaïsme
NOTES
(8) Neshama : autre niveau
d'âme plus élevé dont le siège serait
le sechel, l'intelligence dont le réceptacle serait le
cerveau
(9) Quand les Hébreux rentrent en Israël, ils ont
des commandements spécifiques : nommer un roi. Celui-ci
doit anéantir Amalek et construire le Temple.
(10) Rabéïnou Yona
(11) Shabath : page 56 folio B
(12) Netivot Olam : Netiv Halashon. Ouvrage de
pensée juive du Maharal de Pragur.
(13) Rambam : Mishne Thora : sepher hamada
a) Hilkhot teshouva
b) Hilkhot deoth |