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LA RÉINCARNATION DES AMES
ET LE JUDAISME
Dans une étude précédente,
à la suite des propos du Rav Ovadia Yossef nous avons
essayé de nous pencher sur des interprétations
possibles de la Shoah à la lumière d'une étude
du Rav Askénazi, Zal, scrutant les textes de nos sages
à l'échelle historiosophique, à savoir la
recherche du pourquoi de l'événement derrière
la scène de l'histoire.
A la suite de la lecture d'un article du " Figaro
", relatant les paroles d'Ovadia Yossef et de la réaction
à la fois d'amis juifs et chrétiens, il m'a semblé
urgent de préciser à titre personnel, certaines
choses.
Je tiens à déclarer deux choses : l'une que je
suis fille de rabbin déporté, mort à Ausvhwitz
; l'autre que je n'ai ni entendu directement l'auteur de telles
paroles, ni lu un texte intégral reproduisant mot à
mot ces dires. Mais, je réagis par rapport à la
version transmise par les médias et aux réactions
qu'elle a suscitées.
Si la version journalistique est exacte, je regrette à
la fois l'inopportunité de ces propos comme la façon
de traiter un tel sujet devant n'importe quel public et de le
livrer en pâture au monde non initié à l'audition
de tels concepts. On vulgarise énormément de domaines
culturels, mais n'oublions pas qu'effectivement le concept du
" guilgoul neshamoth ", réincarnation
des âmes, fait bien partie de la Thora, c'est à
dire de la sagesse divine léguée à Israël,
mais rentre dans la partie ésotérique, la mystique
juive, et ne doit être étudiée que dans des
cercles d'initiés.
On ne commence pas l'étude de la Thora par la Cabale mais
d'abord par l'approche exotérique (1) de compréhension
du texte biblique ou du texte talmudique et ensuite, si on en
est capable, à la fois intellectuellement et psychiquement,
on peut absorber d'autres mondes de l'étude.
On raconte dans le Talmud (2) l'anecdote suivante : quatre sages
entrèrent dans l e verger de la connaissance. L'un mourut,
l'autre devint fou, le troisième rejeta la pratique du
judaïsme et perdit sa foi, le quatrième, Rabbi Aquiba,
en sortit indemne et comprit.
Je pourrais désacraliser et dire qu'un certain type d'études
peut déséquilibrer celui qui n'est pas apte à
comprendre ou à supporter, soit certaines abstractions,
soit certaines réalités.
D'autre part, le terme " âme " en hébreu
sous-entend l'usage de termes différents correspondants
à des niveaux d'âmes différents : neshama,
nefesh, rouakh.
Chacun de ces termes comprend des sous-catégories, ce
qui complique encore plus notre étude.
Nous apprenons que, quand D. a créé l'homme, mâle
et femelle, ce premier couple, s'il n'avait pas fauté,
serait entré immédiatement dans les temps messianiques,
c'est à dire dans le monde tel que D. le désira
à priori. Mais le libre-arbitre de l'homme peut retarder
le projet initial divin et l'amener à emprunter les détours
de l'histoire pour réparer ce premier ratage, pour revenir
ensuite au point de départ avant la faute. Un texte ésotérique
nous explique que les âmes d'Adam et d'Eve, après
leur mort physique, ont éclaté en une infinité
d'âmes que constitue le genre humain venant dans notre
monde terrestre, le quittant et y revenant, ceci jusqu'aux temps
messianiques, jusqu'à ce que toutes ces parcelles aient
acquis leur mérite d'être et aient réparé
ou aidé à réparer, les avatars de l'histoire
humaine.
Quant à dire qui est le réincarnation de qui, pourquoi
et à quelle époque, seuls des " géants
" de la compréhension cabalistique des choses, peuvent
peut être le faire.
Les malheureuses victimes de la Shoah, de qui sont-elles ou non
la réincarnation, seul D. le sait !
Une âme peut se réincarner pour mille et une raisons
: pour réparer une faute, pour réparer des fautes
d'une génération entière, de même
q'une personne peut mourir avant son heure, soit par sa faute,
soit par la faute de sa génération qui ne mérite
pas que quelqu'un de très grande envergure continue à
illuminer par sa présence, sa stature morale ou intellectuelle,
sa génération.
Selon cette vision, un individu quitte ce monde quand son rôle
est fini par rapport à des vies antérieures ; parfois
ne s'incarne qu'une de ces parties d'âmes citées
plus haut, celle dont le rôle n'est pas fini pour des raisons
diverses et variées que seul D. connaît.
Des générations ont vu le jour, d'Adam jusqu'aux
Hébreux, qui ont vécu la Révélation
divine au Mont Sinaï, où, nous disent nos sages,
ces mêmes Hébreux avaient réacquis le niveau
spirituel d'Adam et d'Eve avant d'avoir transgressé le
premier commandement divin et perdu cet acquis avec la faute
du Veau d'or et autres fautes commises dans le désert.
A nouveau, il a fallu réparer ces manques, ces carences
spirituelles, génération après génération.
" Tous les chemins mènent à Rome "
diraient nos amis chrétiens ! Des chemins divers mènent
à Jérusalem ; plus courts ou plus longs, ils permettent
d'accéder au monde " réparé ",
transfiguré de l'ère messianique. L'homme choisit
quel type de voie prendre mais doit aboutir en fin de compte,
bon gré malgré, à la réalisation
du projet divin.
Le concept de réincarnation semble séduisant pour
la pensée humaine, à maints titres. Il montre que
derrière l'apparente absurdité du monde, derrière
les scandales théologiques d'une vision primaire de l'univers,
se cache un " Quelqu'un " qui régit ce monde
selon une cohérence rigoureuse à laquelle nous
n'avons que faiblement accès, à l'échelle
d'un éclair fugitif dans notre enveloppe humaine.
Le Rav Askénazi expliquait un jour que Freud avait pu
sonder l'inconscient humain jusqu'à un certain point,
mais qu'un érudit en Cabale n'avait pas besoin des schémas
freudiens, que son érudition pouvait le faire monter bien
en deçà et qu'il fallait atteindre des racines
plus antérieures de l'âme pour comprendre certains
désordres du psychisme humain.
Il semble indispensable de soulever ici un autre point fondamental.
Dans l'une des toutes premières études que notre
journal m'avait amenée à faire, le pourquoi de
l'exil et son sens, nous avions souligné que cette notion
d'exil était inhérente à la nature de "
créature " car l'âme elle-même, en s'incarnant
dans un corps, est en exil par rapport au mondes des âmes.
Le peuple juif va le vivre au niveau de son histoire collective.
L'exemple type est le passage des Hébreux en Egypte dans
le dur creuset de purification qu'est l'univers pharaonique.
Mais ce passage dans la matrice d'engendrement du peuple que
fut cette Egypte, cette sortie traumatisante, à l'image
de l'enfant qui quitte le liquide amniotique maternel, de façon
aussi traumatisante, disent les pédopsychiatres, ce passage
aurait pu ne pas être l'enfer de l'esclavage.
Les Hébreux ont voulu être comme les Egyptiens.
Ils deviennent alors la proie de leurs hôtes, subissant
leur barbarie et leurs pulsions de rejet.
Les nations acceptent mal la différence, de tout ordre
qu'elle soit, au niveau identitaire ou factuel.
Même si Israël n'est pas conforme à son engagement
il este identitairement ce qu'il est, et les nations lui feront
comprendre cet état de fait par l'atrocité de leur
comportement, et ce, à travers toutes les époques.
De même que l'Egypte a payé pour ses tentatives
meurtrières vis à vis des Hébreux, de même
les nations payeront très cher leurs efforts génocidaires
vis à vis d'Israël. Les textes prophétiques
abondent largement dans ce sens. Une maxime du Talmud s'exprime
ainsi : " Megualguelim zekhout al yedé zakay vekhova
al yedé khayav " qu'on pourrait comprendre ainsi
: D. utilise un homme bon, juste pour récompenser celui
qui le mérite et utilise un individu " coupable ",
c'est à dire qui se conduit mal, pour punir celui qui
mérite un châtiment, ceci à travers une concomitance
évènementielle.
De plus, pour revenir à la faute du veau d'or, des explorateurs
ou autres, qui ont parsemé le séjour des Hébreux
dans le désert, les vrais coupables ont été
punis immédiatement. Quand le texte bibliquse dit : "
Israël a fauté " il s'agit d'une responsabilité
collective car le peuple forme un tout ; en réalité
une minorité seule avait fauté mais a entaché
tout l'ensemble. Si un organe est malade, parfois tout le corps
en est affecté. Ainsi en est-il du monde à l'échelle
cosmique.
Quand un enfant naît anormal car les parents sont alcooliques
ou à cause d'un dérèglement chromosomique,
l'enfant est-il fautif, coupable ? Bien sûr que non ! Et
pourtant il subit des conséquences dont il n'est que la
victime. Quand un fumeur pollue l'atmosphère que d'autres
vont respirer et qui les rendra malade, qu'ont fait ces derniers
? Rien !
L'humanité est un ensemble, embarqué dans une histoire
commune, où certains subissent la " folie "
meurtrière des autres sans raison apparente, selon une
cohérence intérieure dont D. seul détient
les lois de décodage et dont il nous livre parfois certains
fragments de façon bien parcimonieuse, juste pour que
nous comprenions que le monde n'est pas absurde, que toute vie
a un sens par son appartenance à un tout, que pour le
moment nous ne pouvons maîtriser. Mais un jour viendra,
une ère viendra, où la lumière éclairera
les zones d'ombre, cette obscurité poignante qu'est "
le voilement " de la " Face Divine ".
Monique Schönberg
NOTES
(1) exotérique (partie
dévoilée, " niguelé ")
; son contraire : ésotérique (partie cachée
" nitsar") de l'éxégèse
biblique.
(2) Talmud de Babylone : traité Khaguiga p.14,
folio B. |