Tishri et le Mont du Temple

Au moment où, en dépit de l'évidence, le monde arabe prétend à des droits supérieurs aux nôtre sur le Mont du Temple, il est utile de rappeler, à l'occasion du mois de Tishri, la centralité du lieu pour les juifs

Au moment où le monde et en particulier l'Islam nous conteste toute légitimité sur le Har Habait, le Mont du Temple, il m'a semblé urgent de " remettre les pendules à l'heure ". On ne précisera jamais assez d'ailleurs que depuis qu'Israël a réintégré, dans la modernité, sa dimension nationale et a réacquis la souveraineté sur tout Jérusalem, la liberté de culte est, pour la première fois dans l'histoire, totale et l'accès aux lieux saints des trois religions également. Le respect de ces lieux de culte, par Israël, l'est aussi, ce qui est parfois loin d'être le cas, pour certaines organisations voisines. Sans parler de ce qui se passait avant 1948 et 1967, nous assistons, actuellement à des travaux plus qu'inquiétants sur l'Esplanade des mosquées, véritable désastre archéologique, aux dires des archéologues, pas seulement israéliens, qu'on ne peut pas soupçonner " d'excès de religiosité " pour essayer d'annihiler la présence multimillénaire du peuple juif sur le seul et le plus saint lieu d'expression de sa foi. Après avoir procédé pendant deux mille ans à une usurpation d'identité au " niveau du ciel " quand la chrétienté se disait le " Verus Israël " et en rêvant, toujours encore pour certains, qu'Israël se convertirait au christianisme, l'Islam prit et continue à prendre la relève, au " niveau de la terre " : Abraham se voit transformé en premier musulman pour ne pas dire Adam lui-même ; une certaine propagande palestinienne nous conteste même nos origines réelles identitaires : serions-nous les descendants des Kazars, convertis au Judaïsme ?! Ce n'est pas Isaac qui a été attaché sur l'autel sacrificiel, mais Ismaël ! Il n'y aurait pas de vestiges du temple sous l'esplanade des mosquées ! Bref, il n'y a pas de limites aux différents visages que prend le révisionisme !!!….
Mais revenons à notre sujet premier.

Naissance de l'histoire

Dans la première Mishna du traité Rosh Hashana, le premier Tishri est défini comme " Rosh Hashana la shanim " entre autre, c'est à dire le " nouvel an des années ", le départ du temps humain. C'est en effet à ce moment-là que commence à se concrétiser réellement le projet créateur divin, dont la centralité est l'homme, lien conscient entre le Créateur et sa créature. Rosh Hashana que nous venons de vivre pour la sempiternelle fois, est défini, par le Maharal de Prague, comme " incluant tous les temps car il en est le départ et l'élément essentiel " : (1) en effet, pourrions-nous dire, le temps permet à l'histoire de s'installer, de se constituer et d'établir ses jalons, en vue, consciemment, de faire passer de la potentialité à la réalisation, peu à peu réussie, le projet divin initial, telle une femme enceinte. Rabbeïnou Bekhave, disciple de Nahmanide, exégète du Moyen-Age, compare (2) le monde, en ce jour, à l'état d'une femme sur le point d'accoucher, vivant le même danger de remise en question de sa survie physique, subissant les contractions libératrices qui permettront l'apparition d'un être différent d'elle, à la fois détaché d'elle, mais à la fois dépendant de cette dernière.
Les générations d'hommes s'imbriquent les unes dans les autres, acquérant progressivement leur autonomie, mais telle une chaîne infinie, reliées les unes aux autres. Tel est le monde par rapport à son Créateur, autre, autonome, avec ses propres lois qui le gèrent, avec sa liberté qui peut l'amener au meilleur et au pire, durant le temps du shabbat divin où D. se cache derrière ces lois de l'univers pour permettre à l'homme d'exprimer son libre-arbitre, mais aussi seul devant ses responsabilités à assumer et ses comptes à rendre. Mais sous cette autonomie apparente, D. veille et assure, de façon constante, l'énergie vitale qui permet à l'homme de ne pas retourner au néant initial, réceptacle premier préparé pour y recevoir l'être du monde (3).

Souvenir d'un Bélier

Ce concept de gestation nous le trouverons dans la liturgie elle-même, " Harat Olam ", après chaque sonnerie du Chofar. (4)
Mais Rosh Hashana est aussi appelé " yom hazikaron ", le jour du souvenir. De quel souvenir s'agit-il ? Le texte du Lévitique (ch.23) qui énumère tous les jours de fête du calendrier juif définit ce jour comme " yom shabaton zikaron teroua… " (v.24) : jour de shabbath, (c'est à dire d'interruption d'activité créatrice ou professionnelle de l'homme dans la construction de sa société), " souvenir de la teroua " (un des types de sonnerie du shofar).
De façon générale, on a l'habitude de relier cette notion de souvenir à l'épisode de la ligature d'Isaac (Genèse ch.22) qui était prêt à donner sa vie pour accomplir la volonté divine. Ce même épisode, lu le deuxième jour de Rosh Hashana, fait intervenir le bélier de substitution prépare depuis l'aube des temps du monde à cet effet là et dont les cornes seront utilisées pour fabriquer le shofar.
Ce texte vient, entre autre, nous apprendre que nous implorons la miséricorde divine avec comme toile de fond le mérite de notre ancêtre pour adoucir le verdict divin.

Pierre fondatrice

Mais Isaac n'a pas été ligoté n'importe où, ni le bélier sacrifié à un endroit sans importance première et sans intention calculée.
Quand D. envoie à Abraham cette épreuve ultime qui frise, apparemment, l'absurde et le scandale théologique, en première lecture, le lieu choisi est lourd de signification. Il s'agit du Mont Moriah, à l'endroit de la pierre angulaire du monde " Even Hashtia " et la guemarah de rajouter " shemimena houshtat haolam " à partir de laquelle fut fondé, construit le monde (5). Nos sages, à travers la littérature aggadique, nous expliquent que l'homme, le premier couple, a été créé à cet endroit là, le premier jour de Rosh Hashana. A partir de là a commencé la création du monde et sera érigé bien plus tard le temple, dont le point culminant, le " saint des saints ", avec son arche, occupera cet espace géographique. C'est là, au dessus de cette pierre, que le grand-prêtre faisait le culte de l'encens à Yom Kippour. Pour exprimer la même idée décrivant la genèse du monde, nos sages de dire " de Sion fut créé le monde ". (6) Cette pierre, lieu d'ébauche originelle de celui-ci, nous renvoie non seulement à l'acte divin, mais aux évènements du jour premier de l'homme. En effet, ce même jour Adam fut conçu, créé, étape après étape, placé dans le jardin d'Eden, il y commis sa première faute, pleura, se repentit et fut pardonné, ceci pour apprendre aux générations futures que D. créa le concept du repentir " Teshouva " avant le monde physique pour permettre à l'homme, potentiellement faillible, peccable, de se racheter.
De ceci nous devons nous souvenir et nous en inspirer. Le comportement d'Adam est aussi une anticipation du culte sacrificiel ultérieur dans le temple, car lui aussi, pleura et construisit un autel sur lequel il sacrifia le premier bélier de la création pour expier sa faute. Le premier shabbath que vécut Adam fut aussi le premier Rosh Hashana où il offrit ce premier sacrifice : le premier shabbath, deuxième jour de Rosh Hashana où l'attribut de justice pure divine fait place à celui de miséricorde, seule condition pour que le monde soit viable, pour adoucir le verdict divin. Cette année où Rosh Hashana tombe presque les mêmes jours que pour Adam, nous espérons aussi que D. adoucisse le verdict qui nous attend ! D. a placé Adam dans le jardin d'Eden, pour " le travailler et le garder ". Or tout était prêt pour l'homme. Il n'avait rien à préparer. Alors que veulent dire ces termes " leovda ou le shomra " dans le langage du targoum ? " Leovda ", laavod at avodat hatorah ", " Leshomra ", " lishmor et hamitzvot " c'est à dire que la fonction d'Adam était de réaliser la volonté divine telle qu'elle est explicitée dans la Thora, émanation de la sagesse divine, grâce à l'application des commandements divins.
A travers cette littérature exégétique à peine effleurée qui ne fait qu'éclairer le texte biblique , la centralité du mont du temple, et par voie de conséquence, de Jérusalem, est évidente. Si Jérusalem est mentionnée environ six cent fois dans la Bible et ne figure pas dans le Coran, tout commentaire supplémentaire est superflu et toute demande de souveraineté autre que juive sur le mont du temple et même sur Jérusalem est de l'ordre de l'usurpation d'identité dès qu'elle dépasse le cadre des mosquées car chacun est maître de ses lieux de prière.
Ces mêmes midrashim nous invitent à une autre réflexion. La sainteté du lieu n'est pas un problème géographique en soi, mais un Choix du divin de ce ou ces lieux spécifiques pour y faire résider sa présence, y divulguer son message prophétique.
La shekhina, la présence divine, par son aura, confère à Jérusalem et à toute la terre d'Israël une spécificité spirituelle qui nous empêche et nous interdit d'y faire n'importe quoi et de s'y comporter n'importe comment.
Nos sages ont défini un certain nombre de commandements comme " équivalents à tous les autres réunis ou à toute la Thora ". Que désiraient-ils exprimer par là ?

Sur une balance

Nous trouvons dans le traité Nedarim du Talmud de Jérusalem (ch.3, halakha 9) l'affirmation suivante : " shabath shekoula keneged kol hamitzvot ", (Si on plaçait Shabath sur un plateau d'une balance, il équivaudrait à tous les autres commandements, placés sur l'autre plateau).
Shabath est un signe d'alliance entre nous et D. exprimant l'existence d'un Dieu, maître du monde qui a créé ce dernier, ex nihilo et qui a conféré à l'homme la mission de le proclamer. Ce même premier shabath fut le couronnement de cette création et sa raison d'être spirituelle invitant l'homme à sanctifier la matière.
Ce premier shabath de l'homme et de D., a permis de montrer à l'humanité que tout espoir est permis, et, à travers l'expérience du premier Rosh Hashana d'Adam, que tout peut être réparé, rédimé, et que D. est magnanime. Dans un deuxième passage, le midrash halakhique, Sifri (datant du temps des tanaïm, il y a environ 2000 ans !), sur la péricope (lecture liturgique de la Tohrah, le shabath) Reéh du livre du Deutéronome (chap.12 - v.29) dans le chapitre 53, nous dit : " yeshivat Eretz Israël shekoula kenegued kol hamitzvot shebathora " : " l'installation sur la terre d'Israël équivaut à tous les commandements qui sont dans la Thora ".
Or que le monde " laïc " israélien ne s'imagine pas qu'en habitant en Israël, ceci les exempte du reste de l'accomplissement de tous les autres commandements ! Bien au contraire ! Habiter là-bas les engage encore plus car la réalisation de tout commandement acquiert sa véritable dimension en Israël et toute la Thora ne fut donnée au peuple d'Israël que pour être vécue et concrétisée sur la terre d'Israël. Pouvoir y rester et y vivre pleinement est conditionné à ce seul principe. (8) Vivre la Thora ailleurs sert à ne pas l'oublier et à ne pas perdre notre spécificité identitaire, nous dit Nahmanide.
Quant à Maïmonide, qui ne compte pas cette mitzva dans le compte global des 613, cela ne veut nullement dire qu'il ne considère pas que c'est une mitzva, un commandement, mais bien plus que eela ! Il considère qu'habiter en Israël englobe tous les autres et les sous-entend, étant donné qu'aller vivre là-bas ne se mérite qu'à condition de se comporter selon la volonté divine. Tout autre comportement souille le sol et apporte démérite à toute la collectivité d'Israël.

Identité en péril

Monsieur Barak ferait bien de méditer cela en concoctant sa révolution laïque. Enfreindre le shabath ou amener officiellement la population à le faire, institutionnaliser la vente du porc, donner un statut juridique positivant les perversions sexuelles, légaliser tout mariage exogamique, fragilisant ainsi la pérennité identitaire du peuple juif, favoriser le fonctionnement d'une pseudo-démocratie occidentale qui n'en est qu'une caricature, enlever tout caractère juif ou plutôt thoranique de l'Etat hébreu pour faire plaisir au monde et à nos pires ennemis c'est nous suicider physiquement et spirituellement à l'échelle collective. Cela ne peut que nous affaiblir de plus en plus, faire le bonheur de nos ennemis et nous créditer de démérites et non de mérites. C'est aussi augmenter nos souffrances à l'aube de la " geoula " qui doit s'effectuer, pour nous et malgré nous, en temps voulu par D.
Souhaitons par nos prières, en cette période du mois de Tishri, que l'Eternel transforme nos démérites en mérites et ouvre les yeux du peuple et de ceux parmi nous, qui ignorent leur patrimoine culturel jusqu'à s'annuler existentiellement, pour leur faire goûter les délices de leur trésor enfoui alors qu'ils tentent de glaner, chez les nations, ce qu'ils possèdent chez eux sans en avoir conscience.
Dernier exemple à citer et illustrant les autres : " Talmud Thora shakoul kenegued kol hamitzvot " l'étude de la Thora est un commandement qui inclut tous les autres car il amène ceux qui s'y adonnent, à l'accomplissement pensé et pesé de tous les autres. Il amène à goûter au génie et aux fines nuances de sa culture et à mieux y adhérer.
A tous nos lecteurs nous souhaitons que cette année soit douce et revivifiante comme le miel.
Qu'elle nous amène la vraie paix, pas celles des concessions, mais celle enfin de la reconnaissance des nations de nos vraies valeurs, de notre réelle fonction sur notre terre non amputée selon le bon vouloir de ces dernières. Que les symptômes inquiétants de haine de soi chez certains d'entre nous disparaissent et, qu'à l'instar de Jacob, la luxation infligée par notre passage chez les nations, soit guérie par le rayonnement d'un " soleil " rédempteur augurant de l'ère messianique. (9)

Monique Schönberg
Professeur de Judaïsme

NOTES

(1) " Rosh Hashana, hou collel kol hazemanim mipené she hou rosh veïkar le khol hazeman."
(2) "Kitevé rabeïnou bekhayé: yad hakemakh" : Rosh Hashana - ch.2
(3) D. Aurait annulé un point de son être infini " Tsimtsoum haélokout " pour permettre au monde d'être créé.
(4) " Hayom, Harat olam, hayom yaamod ba mishpat kol yetsuré olamim"
(5) Talmud de Babylone : traité Yoma : page 54 folio B
(6) Sion ou Tsion = Jérusalem
(7) Targoum : texte en araméen, servant en partie de traduction au texte biblique et en partie (suivant les targoumiens) d'explication midrashique, allégorique.
(8) Rabbi Yehouda Halévi : Kouzari, conclusion : " ki eïn hamaassim sheléïmim qui im ba " " les actes ne sont complets que dans elle " c'est à dire en Israël, les commandements se font totalement, dans leur véritable dimension.
(9) Un certain nombre de midrashim, utilisés pour cette étude, ont été cités par l'édition du Makhzor (livre de prières) de Rosh Hashana du Machon Hamikdash, source inépuisable d'enseignement dont l'iconographie est également très belle et que l'on trouve dans toutes les librairies juives en France. Existent les livres de prières de toutes les fêtes et de l'année, en général dans les trois rites, ashkénaze, sphrad, sepharad.