La Vie blanche et rouge…


Eliette Abécassis, la Répudiée,

Mariée à Nathan depuis dix ans, la narratrice vit à Jérusalem, cette cité où les tailleurs, les scribes, les bouchers et les circonciseurs s'affairent comme aux temps du temple de Salomon. Rien n'a changé, ni les coutumes, ni les rituels. Le mariage reste arrangé. Dans ce milieu ultra-orthodoxe, le jour des noces, la jeune mariée n'entrevoit de son mari qu'un doigt courbé qui passe l'anneau autour du sien. Lorsqu'elle lève le voile, elle découvre le visage de l'homme à qui elle appartient désormais. Elle est à lui, rien qu'à lui, et ils sont unis afin de former un seul corps.

La vie conjugale se déroule dans le strict respect des lois, dans une soumission acceptée: marcher derrière son mari vers la synagogue, cuisiner pour lui, porter un foulard, préparer le chabbath et accomplir les lois concernant la pureté rituelle. Dans ce cadre rigide, la narratrice s'attache à son époux et lui voue un amour total. Mais le couple n'a pas d'enfants. La stérilité est vécue comme une expiation car "le but de l'amour physique est la procréation." Prière, kippour, chabbath, rien n'y fait.

Scrupuleux de la Loi et du devoir messianique de donner naissance, Nathan finit par répudier sa femme. Le diagnostic d'un médecin contredit pourtant l'atroce damnation: la stérilité ne vient pas d'elle. La répudiée n'a que le droit de se lamenter, souffrir en silence, se souvenir et prier. Elle délire, jalouse, brisée, brûlée. Sa soeur se rebelle, elle renonce, sublime son amour volé: "J'ai tant aimé, j'ai tout perdu, j'avance dans le noir." Rouge, l'impureté du sang, blanc, la pureté recherchée, blanc comme les voiles du mariage. "Ainsi s'écoule la vie, tantôt blanche, tantôt rouge."

A la manière d'un peintre, Eliette Abécassis évoque la succession de gestes quotidiens, rituels, qui tissent une vie offerte, sacralisée. L'émotion naît du choix de l'auteur de nous laisser voir cette destinée d'une vie injustement bafouée de l'intérieur, sans jugement. Ce sacrifice accompli jusqu'à mourir d'amour. Cette sobriété poétique suscite une compassion pour ces esclaves, ces voix silencieuses et étouffées.

Emmanuelle de Boysson